Sénégal
AtlanticActu/ Abdoulaye Gallo Diao/ Serigne Ndong
Monsieur le Président, J’accuse !
L’expression “J’accuse”, popularisée par Émile Zola dans sa lettre ouverte au président français en 1898, visait à dénoncer une injustice et à empêcher un procès biaisé. Aujourd’hui, Monsieur le Président, je m’en empare pour attirer votre attention sur la gravité des révélations du rapport de la Cour des comptes et leurs conséquences potentielles sur la stabilité politique et économique de notre pays. Mais surtout, pour dénoncer une atteinte à l’indépendance de la justice et au principe fondamental de la séparation des pouvoirs.
Un rapport entaché d’irrégularités ?
Monsieur le Président, la Loi organique n° 2012-23 définit clairement le fonctionnement de la Cour des comptes et les procédures de validation de ses rapports. Pourtant, plusieurs anomalies interpellent :
1. Pourquoi un rapport d’une telle importance ne comporte-t-il pas de signature officielle ?
2. Pourquoi seul le nom d’un président de chambre figure-t-il sur la liste des membres ayant délibéré ?
3. Pourquoi, quelques heures après sa publication, tous les précédents rapports de certification des comptes publics de 2019 à 2023 ont-ils disparu du site de la Cour des comptes ?
Comme une grande majorité de Sénégalais, je me pose ces questions légitimes. En droit, un acte administratif ou une décision de justice entachée de vices de forme est juridiquement nul et sans effet.
Une ingérence du pouvoir exécutif ?
Monsieur le Président, selon la Loi n° 2012/22 sur la transparence des finances publiques, le gouvernement doit produire un rapport sur la situation budgétaire en début de mandat. Ce rapport est audité par la Cour des comptes avant d’être rendu public.
Or, avant même que cette procédure ne soit respectée, votre Premier ministre, Ousmane Sonko, a organisé une conférence de presse le 16 septembre 2024 – à moins de deux mois des élections législatives – pour accuser l’ancien régime de falsification des comptes. Il a ensuite affirmé, lors de sa Déclaration de politique générale, que les révélations du rapport de la Cour des comptes allaient “au-delà” de ses déclarations initiales.
Comment peut-il divulguer le contenu d’un rapport avant même son audit final et sa publication officielle ?
Une violation des principes républicains
Monsieur le Président, ces faits soulèvent de graves questions :
• Sur quelle base légale votre Premier ministre s’est-il autorisé à rendre public un rapport encore en cours d’audit ?
• Pourquoi la Cour des comptes n’a-t-elle pas publiquement réagi à cette ingérence manifeste de l’exécutif ?
• Ne s’agit-il pas là d’une violation flagrante de l’indépendance de la justice et des principes démocratiques consacrés par la Constitution ?
L’article 88 de la Constitution stipule que “le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif”. La Cour des comptes fait partie de ce pouvoir judiciaire. Dès lors, son indépendance aurait dû suffire à dissuader le Premier ministre d’interférer dans ses missions.
Une crise institutionnelle inédite
Monsieur le Président, jamais dans l’histoire du Sénégal un rapport de la Cour des comptes n’avait suscité autant de polémique et d’indignation. Il est évident que cette situation résulte d’une instrumentalisation politique qui met en péril la crédibilité de nos institutions.
Comme le disait le Président Abdou Diouf : “L’homme d’État pense aux générations futures, le politicien pense aux prochaines élections.”
Des enseignements à tirer
1. Votre Premier ministre a violé le principe fondamental de la séparation des pouvoirs, l’article 88 de la Constitution et la loi sur la transparence des finances publiques.
2. La Cour des comptes, par son silence, se trouve fragilisée et contrainte à une perte de crédibilité sans précédent.
3. La divulgation précipitée de ce rapport par l’exécutif menace la stabilité politique et économique du pays.
Une menace pour nos institutions ?
Monsieur le Président, votre engagement en tant que garant du fonctionnement régulier des institutions vous oblige à tirer les conclusions qui s’imposent. Il est urgent de restaurer la séparation des pouvoirs et de veiller à ce que la Cour des comptes puisse travailler en toute indépendance, sans pression ni manipulation politique.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.
Abdoulaye Gallo Diao
Membre du Bureau politique du PS
Secrétaire national adjoint chargé des TIC