@Atlanticactu.com – C’est le Forum Civil qui avait mis sur la table l’épineuse question des dépenses fiscales ou plutôt exonérations accordées à des personnes morales ou physiques dans un flou nébuleux. Le 28 juillet , Abdoulaye Daouda Diallo avait fait une sortie pour dire la vérité tout en oubliant l’essentiel sur les 3500 milliards de francs CFA « perdus ». En fin 2020, le Fisc avait traité quelques 240 dossiers de fraude fiscale. La commission des infractions fiscales a notamment dû se pencher sur des affaires d’une extrême gravité au vu des sommes en jeu. Qui a freiné le Fisc ou plutôt qui a mis son coude ?
Pour être resté près de six (6) ans sans la publication de rapports sur les dépenses fiscales, Birahim Seck avait interpellé le Ministre des Finances et du Budget sur cette absence, qui est tout simplement inacceptable pour une gouvernance qui se veut vertueuse. Ces dépenses fiscales qui sont de l’avis du Coordonnateur général du Forum Civil des renonciations à des ressources pouvant, parfois, soulager les contribuables par la construction d’hôpitaux, d’écoles, d’universités, de routes… pourrait être source de fraudes fiscales de grande ampleur.
Même si la plupart des fraudes fiscales de grande ampleur passent devant la Commission des infractions fiscales, surnommée « verrou de Thionk », elle a une fonction consultative avant que l’administration fiscale décide de porter plainte ou pas contre un contribuable mauvais payeur ou comme de coutume, de laisser le ministre de tutelle apprécier s’il faut passer l’éponge ou serrer le verrou, en fonction de l’appartenance politique du quidam. Pourtant, dans un souci de transparence, cette commission doit rendre compte publiquement de son travail, en publiant chaque année un bilan chiffré. C’est ce manquement dénoncé par Birahim Seck qui a fait sortir Abdoulaye Daouda Diallo de sa léthargie.
Et comme les contribuables ont le droit de connaître la destination , les bénéficiaires et les montants de ses « pardons fiscaux », c’est ainsi que pour l’exercice 2020, la Commission des infractions fiscales s’est penchée sur 240 dossiers remontés par l’administration fiscale. Un nombre en nette augmentation, puisque 211 affaires avaient été analysées en 2019. Cette hausse est due à un changement de règle : les dossiers les plus graves et les récidives continuent d’être directement traités entre les mains du ministre des Finances et du Palais de la République alors qu’il était souhaité et indiqué que le procureur de la République soit saisi de ces cas de délinquance fiscale. De plus, la pandémie a engendré une impossibilité de réaliser une partie des contrôles fiscaux en 2020. Au total, la Commission s’est finalement prononcée l’an passé sur 750 milliards ayant échappé à l’impôt.
« Les 3 des impôts les plus fraudés bénéficient souvent des dépenses fiscales. C’est pourquoi il est quasiment impossible de lutter contre la corruption dans ce secteur… »
Cette absence de Redevabilité relève d’une profonde crise de transparence dans la gestion de nos ressources publiques, selon Birahim Seck. Car sur les 240 dossiers examinés, 190 valent des redressements pour ne dire des poursuites , estime une source proche de la Commission des infractions fiscales. Plus de la moitié des cas concernent la fraude à la TVA, pour un total de 450 milliards. Eh oui, lorsque l’on entend fraude fiscale, on pense d’abord à l’impôt sur le revenu. Pourtant, cette pratique n’arrive qu’en dernière position, l’impôt sur les sociétés, ou IS, arrive quant à lui en seconde place de ce classement (125 affaires). Pour boucler la boucle en 2020, un quart seulement des dossiers étaient liés à l’impôt sur le revenu .
Les secteurs d’activités où la fraude et le pardon fiscal sont plus fréquents, l’immobilier, le secteur des mines et des hydrocarbures…
Pas de changement du côté des domaines d’activités préférés des fraudeurs : le BTP arrive en tête en 2020, comme en 2019. Ce sont ainsi 35% des dossiers vus par la Commission des infractions fiscales qui sont liés au bâtiment et aux travaux publics qui ont bénéficié de la mansuétude de l’État. Mais si on analyse plutôt le montant moyen des fraudes effectuées, le classement change. Le secteur de la presse et de la publicité n’est pas loin de la tête avec une « escroquerie moyenne » de 35 milliards, alors même que seulement 7 situations ont été portées à la connaissance de la Commission.
Pour l’immobilier, la partie de la fraude la plus importante provient du fait que la plupart des propriétaires qui ont la particularité d’être soit des hommes du régime en place, soit des hauts fonctionnaires, magistrats, hauts gradés de l’armée, de la police, de la gendarmerie ou de la douane, bénéficient automatiquement d’exonérations fiscales. Ce qui constitue un manque à gagner chiffré à quelques 275 milliards de francs CFA par an.
« 47 milliards de dépenses fiscales pour le plus grand fraudeur de l’année »
Bien entendu, la Commission des infractions fiscales ne dévoile aucun nom. Elle précise toutefois que la plus importante fraude de l’année 2020 concerne un montant de 47 milliards cachés à l’administration fiscale. Une somme exceptionnellement élevée liée à la dissimulation des revenus d’un dirigeant d’entreprise étrangère spécialisée dans les produits halieutiques. Cette typologie de fraude est en augmentation. La fraude des dirigeants concentre 60% des dossiers aboutissant à un redressement non suivi d’effets en 2020, après 37,4% en 2019. Mise à part cette affaire exceptionnelle à 47 milliards, le montant moyen des fraudes diligentées par les chefs d’entreprises est de 86 milliards de francs CFA.
Les régions où l’on fraude ou exonère le plus
Sans surprise, c’est la région de Dakar qui arrive en tête des lieux concentrant le plus de fraudes et le plus d’exonérations, tant en nombre qu’en montant. La région affiche un montant moyen des fraudes fiscales de 289 milliards , et plus d’un quart des plaintes recueillies concernent Dakar . Ceci découle logiquement de la place prépondérante qu’occupe cette région dans l’économie sénégalaise .
Suivent par ordre chronologique les régions de Thiès et de Saint-Louis qui avec l’importance des exploitations minières, contribuent très faiblement sur la fiscalité car la plupart des entreprises bénéficient de passe-droits non justifiés. En troisième position, c’est la région aurifère de Kédougou où les exonérations se distribuent comme des petits pains sans aucune logique. Et enfin de compte, les foyers religieux de Touba et Tivaouane dont certains membres sont régulièrement dépositaires de quotas d’engrais, de produits divers exonérés par le gouvernement.
Cheikh Saadbou DIARRA