Le scénario, inspiré du quotidien de femmes sénégalaises, est simple et novateur. Il met en scène Lalla Ndiaye, une parfaite ménagère dont le mari a une liaison avec Marème Dial. C’est cette dernière qui est l’objet de toutes les polémiques. Son franc-parler comme ses rapports hors mariage, assumés, détonnent dans le paysage télévisuel sénégalais et divisent le pays. Il y a les pro-Lalla, touchés par son histoire ou partisans de la monogamie, et les pro-Marème, qui défendent la grande séductrice et, pour certains, la polygamie, puisqu’elle devient par la suite la co-épouse de Lalla.
Nuisette légère, flirt au lit et moments de tendresse… Les anciens amants Marème Dial et Cheikh Diagne, désormais mariés, savourent leur lune de miel. Si l’épisode 33 de « Maîtresse d’un homme marié », série star au Sénégal, résonne pour une partie des téléspectateurs comme une revanche après un scénario alliant liaison secrète et mariage polygame, la scène choque une partie du pays. Au point que l’ONG islamique Jamra, qui s’était élevée contre cette fiction dès les premiers épisodes, a de nouveau saisi le Conseil national de régulation audiovisuelle (CNRA).
Avec ses millions de téléspectateurs hebdomadaires et ses 2,4 millions d’internautes, la série, diffusée sur la chaîne privée 2STV depuis le 25 janvier, est devenue un phénomène de société. Chaque lundi et vendredi, à 21 heures, le Sénégal attend fébrilement la suite des aventures de Marème Dial, Cheikh Diagne et Lalla Ndiaye. Mais au pays du sutura (pudeur), certains estiment la fiction scandaleuse. Qu’on soit fan ou critique, le sujet fait désormais autant parler que les débats politiques dont les Sénégalais sont si friands.
« La promotion de l’adultère et de la fornication »
Alors que « Maîtresse d’un homme marié » montre le quotidien des femmes et leur rôle dans la société, certaines de ses séquences sont vécues comme « offensantes » dans un pays à majorité musulmane et très croyant, au point que le CNRA a mis en demeure 2STV, le 31 mai, jugeant certains clichés « indécents, obscènes ou injurieux » et certaines scènes « susceptibles de nuire à la préservation des identités culturelles ».
La polémique a commencé dès la première diffusion, avec un dépôt de plainte du Comité de défense des valeurs morales du Sénégal auprès du CNRA, le 31 janvier. « Cette série fait la promotion de l’adultère et de la fornication. C’est une dérive audiovisuelle qui, à travers le scénario, propose un mimétisme déplorable des cultures occidentales », a déclaré le président de l’association, Mame Makhtar Guèye, le 19 mars sur la chaîne privée 7TV. Après délibération, le CNRA a décidé de laisser la diffusion se poursuivre, « sous réserve de mesures correctives à apporter ».
Kalista Sy, qui avait d’abord refusé de commenter la polémique, explique n’avoir aucune intention de bousculer les codes, mais la volonté de pousser à la réflexion. « Marème est la seule de la série qui pose problème, parce qu’elle est entière, non conventionnelle et représente cette part de nous, audacieuse, que nous préférons cacher. Elle a été créée pour le débat et ça marche », explique-t-elle. L’histoire de Marème sert de leçon à « certaines femmes, maîtresses, qui, en regardant la série, remettent en cause leur situation », témoigne Halimatou Gadji, l’interprète du rôle.
Dépression, harcèlement scolaire et alcoolisme
Polygamie, dépression, sexualité, mariage forcé… Les thèmes abordés sont variés et, en filigrane, le spectateur en découvre d’autres. Comme le rôle du psychologue, la maladie d’Alzheimer, le harcèlement scolaire ou l’addiction à l’alcool. « Le but n’est pas de dénoncer, mais de faire prendre conscience », argue la scénariste, qui s’est mise à l’écriture parce qu’elle ne s’identifiait pas aux scripts généralement écrits par des hommes pour « valoriser la femme, trop souvent construite autour de son mari ».
Une approche féministe que les comédiennes ont faite leur. « Je me considère comme un miroir de la société, estime Halimatou Gadji. Ce rôle n’a pas été facile à endosser. On confond souvent ma personne avec mon personnage et j’entends beaucoup de choses dures. Si c’était un homme, il n’y aurait pas les mêmes remarques. Toute femme est aussi libre de sa sexualité. » Pour Ndiaye Ciré Ba, qui interprète le rôle de Djalika, il s’agit en réalité de montrer les deux facettes de la société : « Nous sommes entre deux générations, l’ancienne aux normes traditionnelles, et la nouvelle, calquée sur le modèle occidental. Aux deux, nous tentons de porter un message. »