La France s’emploie à remplacer « Barkhane » par la Force européenne « Takuba », tout en encourageant les Américains à intervenir afin d’éviter que la région du Sahel ne tombe dans l’escarcelle de l’influence russe…

La France a, enfin, tracé sa feuille de route portant sur le retrait de la Région du Sahel africain, mais il s’agit d’un retrait limité, aussi bien au plan spatial que temporel, ou encore en termes d’effectifs.

Ce retrait vise, selon nombre d’observateurs, à alléger le fardeau des charges financières françaises et à réduire le bilan des pertes en vies humaines, sans pour autant renoncer à l’influence de Paris dans la région.

La feuille de route est axée sur la fermeture des bases militaires françaises à Kidal, à Tombouctou et à Tessalit, dans le nord du Mali, ainsi que sur la réduction des effectifs des forces françaises, pour les faire passer de 5100 actuellement à environ 2500 à 3000 éléments. L’application de ce plan s’étalera selon les prévisions françaises du début du second semestre de 2021 jusqu’à l’orée de l’année prochaine.

Cette annonce a été faite par le Président français, Emmanuel Macron, au cours du Sommet virtuel tenu, le 9 juillet courant, avec les dirigeants des Etats du Sahel. Le seul chef d’Etat de la région qui a fait le déplacement à Paris à cette occasion est le Président du Niger, Mohamed Bazoum.

De son côté, Mahamat Déby, chef du Conseil militaire tchadien, qui dirige le pays de facto après l’assassinat de son père, Idriss Déby, avait anticipé le Sommet des Etats du Sahel, en se rendant en France, jeudi dernier, soit la veille du Sommet, pour se réunir en tête à tête avec le locataire de l’Elysée, avec qui il a discuté pendant une heure d’une série de questions.

Les deux présidents ont passé en revue au cours de leur entrevue la nouvelle stratégie de la France dans la région et Déby a fait part de son dépit des provocations russes lancées contre son pays après l’entrée de soldats de la République centrafricaine dans le territoire tchadien, selon des médias français.

Macron craint une deuxième défaite décisive

La défaite du parti de Macron (La République en Marche, LERM), aux élections locales, dix mois avant la tenue de la prochaine Présidentielle, a amené le président français à revoir certaines de ses politiques pour tenter de rattraper la situation, afin d’éviter le scénario de son départ de l’Elysée.

C’est dans ce cadre que s’inscrit la décision de Macron de mettre un terme à l’Opération militaire « Barkhane » au Sahel, et d’amorcer la réduction des effectifs des forces françaises dans la région et ce, avant même de convenir d’une opération militaire alternative, qui éviterait un déséquilibre sécuritaire dans la région, lequel déséquilibre profiterait aux groupes armés et aux organisations terroristes.

Toutefois, Macron parie sur la force européenne « Takuba » pour combler le vide au Sahel. Cette opération compte en son sein des unités spéciales européennes ainsi que 2000 soldats des forces d’élite françaises, auxquelles pourraient s’ajouter environ 1100 soldats américains déployés dans la région.

Il convient, toutefois, de souligner que la force « Takuba » ne sera pas déployée sur le terrain et que son rôle principal se limitera à entraîner les forces locales des Etats du Sahel, de même que pour les forces américaines qui se contenteront de former et d’offrir du conseil et un appui logistique en termes de transport et de renseignements.

Il semble que les pays européens, et à leur tête le Royaume-Uni, ne soient pas particulièrement emballés pour peser de tout leur poids militaire dans la région du Sahel, qu’ils considèrent comme étant un pré carré français.

De même, les Américains veulent mettre un terme, très prochainement, à leur guerre lancée contre le terrorisme, et qui se poursuit depuis près de deux décennies, et éviter ainsi de s’enliser dans un nouveau marécage sécuritaire.

Au plan interne, l’Opinion publique française exerce une pression sur la Direction de son pays pour le retrait les forces armées française du Sahel après la mort de plus de 50 soldats, depuis 2013, et des dépenses avoisinant un milliard d’euros annuellement, pour couvrir les besoins de l’Opération « Barkhane », selon le magazine « Le Monde diplomatique ».

En se basant sur ces chiffres, la France aurait dépensé, jusqu’à présent, quelque 8 milliards d’euros au moins dans son combat au Sahel.

Néanmoins, les résultats des sondages d’opinion publiés, au mois de janvier dernier, ont montré que 51% des Français sont contre l’intervention militaire au Sahel, alors que le taux de ceux qui appuyaient cette approche s’élevait à 73%, lors du lancement de l’opération « Serval » en 2013, avant que ce seuil ne tombe à 58%, en 2019, pour atteindre les 49% en 2021.

Ces résultats ont poussé Macron, qui caresse le rêve de remporter un deuxième mandat présidentiel, à accélérer le retrait des forces françaises des principales lignes de front dans le nord du Mali, en optant pour l’internationalisation de la guerre, tout en maintenant les bases françaises dans la région, en particulier, au Niger et au Tchad, afin de faire barrage à l’expansion de l’influence de la Russie et de la Chine comme cela fût le cas en République centrafricaine après que Paris eut mis fin à l’opération « Sangaris ».

Punir le Mali et tenter d’impliquer l’Algérie

L’attention focalisée par la France sur le retrait du Nord du Mali uniquement vise essentiellement à punir le chef des putschistes, le colonel Assimi Goïta, qui avait renversé le Président intérimaire proche de Paris, Bah N’daw, malgré l’échec de l’armée malienne à faire face aux groupes terroristes disséminés dans le pays.

De plus, la fermeture des bases militaires françaises dans les foyers de tension les plus chauds place, d’un point de vue sécuritaire, l’armée malienne face à une épreuve délicate et lui fait assumer des charges supplémentaires, ce qui pousserait la Direction de ce pays à retourner, contrainte, dans le giron français, espérant ainsi obtenir l’appui militaire et financier de l’Hexagone.

Les régions de Kidal et de Tessalit, proches des frontières algériennes, ainsi que la cité ancestrale des Touareg, Tombouctou, souffrent d’une marginalisation par rapport aux villes du sud du pays, desquelles elles sont séparées par le fleuve du Niger, qui constitue une barrière naturelle.

Le Nord du Mali a connu, au cours des décennies écoulées, une série de rébellions, durant lesquelles l’Algérie a joué un rôle central pour calmer la situation, via les négociations, dont les dernières en date avaient été couronnées par les Accords d’Alger signés en 2015 sous parrainage du pays maghrébin, entre les groupes armés touaregs et le gouvernement de Bamako. Cependant, ces Accords n’ont pas été respectés jusqu’à présent par la partie gouvernementale, ce qui menace de voir ces Accords s’effondrer.

Le retrait français du nord du Mali pourrait aboutir à nouveau à un soulèvement des Touaregs et des Azawad et à la mise en échec des Accords de paix d’Alger.

Rappelons que l’armée malienne a, de tout temps, fait face à des difficultés pour contrer les rébellions des Touaregs, compte tenu de ses capacités limitées ainsi que de la vaste région dans laquelle se déroulent les combats, parallèlement à une densité de population peu élevée et à une fine connaissance par les rebelles des sentiers ardus de la zone.

Toutefois, les groupes armés terroristes pourraient se liguer sous la bannière du groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) sous le commandement de Iyad Ag Ghali, pour exploiter le retrait français et la faiblesse de l’armée malienne, ainsi que la reprise de la rébellion des Touaregs pour dominer à nouveau le nord du Mali, comme cela fut le cas en 2012.

Cette situation pourrait amener l’Algérie, qui dispose de la plus forte armée dans la région du Sahel, à intervenir militairement pour empêcher l’établissement d’un émirat terroriste à ses frontières sud, selon le scénario préféré par Paris, qui ne veut pas aller de l’avant sur la voie d’une guerre ouverte contre le terrorisme en combattant au nom des pays de la région, comme cela avait été le cas pour les Etats-Unis d’Amérique qui mènent le combat en Afghanistan, à la place de Russie, de l’Iran et de la Chine.

Le magazine « Jeune Afrique » a lancé un ballon d’essai à travers lequel il a prétendu que le chef d’Etat-major de l’armée algérienne, Saïd Chengriha, s’était rendu secrètement à Paris pour discuter de la crise du Sahel africain, ce qui a été formellement démenti par le ministère algérien de la Défense qui a qualifié cette information de « pures allégations ».

L’armée algérienne avait mené une guerre féroce et acharnée contre les groupes armés durant la décennie des années 1990 du siècle dernier, une guerre qui n’a pu être remportée que par le truchement de la réconciliation nationale. Ainsi, l’Algérie saisit pertinemment que la guerre contre le terrorisme dans la région du Sahel ne peut être gagnée par la force militaire.

Même après le kidnapping de ses diplomates dans la ville de Gao, dans le nord du Mali, en 2012, et l’attaque contre les installations pétrochimiques dans le sud-est de Tigentourine, à partir du nord du Mali en 2013, l’Algérie n’a pas dépêché ses unités dans la région, prétextant à l’époque que sa Constitution interdit à l’armée de combattre en dehors des frontières du pays.

Toutefois, ce prétexte n’a plus lieu d’être depuis l’amendement par voie référendaire de la Constitution algérienne en 2020.

En dépit de cette nouvelle configuration, l’armée algérienne demeure prudente pour éviter tout enlisement dans une guerre qui pourrait épuiser ses capacités, d’autant plus qu’une tension palpable est présente aussi au niveau de ses frontières est et ouest.

De leur côté, les Français s’emploient à impliquer l’Algérie dans ce combat, dans la mesure où le retrait de ce combat créerait une vacance qui doit être comblée par l’une des parties.
Le site de la chaîne d’information « France 24 » a rapporté, en citant une source militaire française : « Nous devons discuter de nos mouvements dans le nord du Mali avec la Mission des Nations unies dans ce pays (MINUSMA) et avec les Algériens qui sont concernés directement en tant que pays voisin ».

La ministre française des Armées, Florence Parly, et son homologue américain, Lloyd Austin, ont signé, vendredi dernier, à Washington, une nouvelle feuille de route de coopération entre les forces spéciales des deux pays, ce qui pourrait présager de la possibilité de davantage d’implication de l’armée américaine dans les combats opérationnels contre les groupes armés au Sahel aux côtés de la force européenne « TaKuba ».

La région du Sahel sera confrontée à de profonds tiraillements politiques et sécuritaires au cours de la prochaine étape, et pourra voir l’intervention de plusieurs acteurs régionaux et internationaux, ce qui aboutirait à contenir les opérations ou l’extension des groupes armés vers la région du Golfe de la Guinée, riche en pétrole et en gaz.

Par Mustapha Dalaa 

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