vendredi, 22 novembre 2024 12:18

Recrudescence des violences policières, le niveau de gestion de la crise pointée du doigt

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Après les bavures des premières nuits du couvre-feu où certains éléments des forces de l’ordre déployés se sont érigés en de véritables « monstres » en bastonnant ceux-là qui s’étaient attardés dans les rues après 20 heures, on avait pensé ne plus avoir droit à ce type de spectacle. Mais, pourtant il fallait s’y attendre car l’état n’avait pas imaginé ou du moins , avait sous-estimé que le confinement prolongé conjuguée à la fatigue des forces impliquées, pourrait déboucher sur une crise. D’un état d’urgence avec maintien de l’ordre, on glisse vers une gestion des crises. Une situation crainte par les gouvernements car, pouvant découler sur des actes de violence injustifiée comme c’est le cas récemment à Nietty Mbar.

Les dernières scènes de violences dans la banlieue ont ému plus d’un. Mais, ce n’est point un hasard pour les observateurs avertis car, la prorogation de l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu le 2 mai, conjuguée aux « complaintes » de certains agents sur les heures de travail infernales sans aucune compensation financière, ne pouvaient déboucher que sur de pareils comportements.

Pour preuve, il suffit de voir l’évolution de la répression des « Gilets Jaunes » en France. Ces derniers étaient encadrés malgré les casses pendant plusieurs semaines avant que les premières bavures policières débutent avant de devenir régulières et plus violentes.

« Aujourd’hui, les violences relevées dans la banlieue ne sont que la face visible de l’iceberg. Et si l’état ne change pas de paradigmes dans la gestion de l’état d’urgence, il va s’en dire que nous allons assister à davantage de violences et davantage de révoltes dans les quartiers  », selon Abdou Thiam, un ancien officier de police.

Poursuivant, l’ancien fonctionnaire nous apprend, « Déterminer la sortie de crise est plus difficile qu’il n’y paraît. A première vue, on pourrait croire que la sortie de crise commence dès que l’événement déclencheur baisse en intensité. Cependant, les crises connaissent parfois des rebondissements. Par ailleurs, la sortie de crise suppose de mettre fin aux mesures spécifiques liées à la gestion de crise ». Enfin,  nous précise t-il « Avant la prorogation, il est primordial pour le gouvernement de dresser le bilan de sa gestion et de prendre en compte les retours d’expérience afin d’améliorer les pratiques et de diffuser la culture des risques pour éviter justement des dérives. »

Les violences policières de plus en plus régulières depuis le 23 mars, « l’équipement » de certains éléments déployés sur le terrain, est-ce vraiment des bavures? Ne faudrait-il pas y voir une défiance même vis à vis de leur hiérarchie ?

Les répressions les plus violentes du Sénégal post indépendant se résument à quelques dates. Les événements de 1962 avec plusieurs dizaines de morts sur les Allées du Centenaire, la grève de 1968 qui cache à ce jour le nombre de victimes même si certains chiffres sont avancés, la grève estudiantine de 1988, les événements ayant opposé le Sénégal et la Mauritanie en 1989, les émeutes de l’électricité et le 23 juin 2011, sont les plus importantes.

Parmi les faits cités,  la grève de 1988 et les événements de 2011 sont les deux qui ont débouché sur une gestion de crise tout simplement parce que le « face à face » a tiré en longueur au point que les forces de l’ordre commençaient à accuser le coup, à devenir incontrôlables car, tenant à mettre fin à une situation méconnue et à priori sans issue.

Et pour démontrer la dangerosité d’une gestion de crise sous nos cieux, Atlanticactu a tendu son micro à Abdou Thiam, un ancien officier de police qui a fait partie du dispositif lors de la grève de 1988 et d’avoir été un observateur des événements pré électoraux de 2012. « En 2012, la situation aurait été pire si le dispositif mis en place par Arona Sy,  l’ancien commissaire central de Dakar était plus dans une logique de répression. Certes, de nombreux sénégalais s’arracheront les cheveux mais, il faudra comprendre que le maintien de l’ordre implique une répression reconnue et encadrée par la loi en fonction de l’évolution sur le terrain mais, pourtant le dispositif qui était mis en place dans Dakar ne dépassait pas 120 éléments ».

« Ce nombre déployé démontre que l’officier de police judiciaire avait pris en compte que plus les éléments étaient nombreux, plus les risques de bavures étaient élevés. Mais, il avait opté pour cette solution au risque de voir ses hommes être pris en tenaille ».

« Malgré leur petit nombre en 2012, les hommes déployés sous les ordres du Commissaire Arona Sy ont plus fait dans la gestion des foules en démocratie que l’éternel maintien de l’ordre. Plus grave, l’ex chef du SRSP de Dakar a réussi à circonscrire la gestion de crise sans que personne ne s’en aperçoive », renseigne l’ancien officier de police.

Une crise est une rupture dans le fonctionnement normal d’une organisation ou de la société,  comme l’état d’urgence et le couvre-feu en cours,  résultant d’un événement brutal et soudain, qui porte une menace grave sur leur stabilité voire sur leur existence-même. En raison de son caractère brutal et soudain, l’élément déclencheur appelle une réaction urgente.

Cheikhna Keïta le Président de l’Association des policiers à la retraite , sans reconnaître les bévues et bavures policières, reconnaît néanmoins, « Effectivement, sur le terrain, les éléments ont besoin de sentir un chef derrière eux mais au vu du rythme des sanctions contre les policiers, l’engagement reste à revoir ».

En véritable avocat des policiers tous grades confondus, Cheikhna Keïta déclare, « Depuis le 23 mars, les agents sont dehors sans possibilité pour certains de voir leur famille, sans aucune indemnité, ils sont envoyés dans des quartiers extrêmement dangereux au risque d’être contaminés, tués ou blessés et, ils sont attaqués tous les jours sans voir la hiérarchie prendre leur défense. Non, il faut encourager ces agents et non les jeter en pâture ».

Éviter  d’avoir à apprendre la gestion de crise « sur le tas », tel est le conseil donné aux Officiers de police judiciaire responsables des dispositifs de maintien de l’ordre 

En résumé, la gestion de crise est une succession d’opérations de maintien de l’ordre. Les meilleurs spécialistes du Maintien de l’ordre vous diront tous leurs craintes d’avoir à gérer une crise. En effet, la gestion de crise est l’ensemble des modes d’organisation, des techniques et des moyens qui permettent à une organisation de se préparer et de faire face à la survenance d’une crise puis de tirer les enseignements de l’évènement pour améliorer les procédures et les structures dans une vision prospective.

D’où l’importance de disposer au moins d’un spécialiste de la gestion de crise parmi les éléments impliqués. Est-ce le cas au Sénégal ? Tout porte à croire que ce n’est point le cas autrement, il ne serait pas conseillé au gouvernement d’aller dans ce sens.

Et face à ce qui se passe sous nos yeux, des questions légitimes reviennent. A-t-on mis en place une cellule interministérielle de crise (CIC)? A-t-on pris le temps d’évaluer la situation , son impact matériel et humain ainsi qu’à ses conséquences potentielles? Le gouvernement travaille t-il sur l’anticipation, qui peut identifier toute situation pouvant  compliquer la gestion de la crise et propose des actions pouvant être mise en œuvre en conséquence?

En dernier, le gouvernement a-t-il vraiment élaboré un plan de communication adapté et qui pilote l’ensemble des actions du dispositif . Un plan de communication qui permet notamment d’informer la population sur l’événement et les mesures prises. Par ailleurs, il favorise la diffusion des recommandations nécessaires.

Pape Sané (Atlanticactu.com)

 

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