vendredi, 26 avril 2024 17:06

Pourquoi le Mali s’est-il rétracté sur les pourparlers avec les groupes armés ? (Analyse)

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Dans deux positions diamétralement opposées qui reflètent la nature du différends dans les rangs des nouveaux dirigeants à Bamako ainsi que les pressions extérieures exercées sur le Mali, le gouvernement a annoncé avoir chargé le Haut Conseil islamique d’engager des négociations avec l’organisation de « Nusrat al-Islam » proche d’Al-Qaïda, avant de se rétracter et de démentir en bloc.
En effet, le 19 octobre, le ministre malien des Affaires religieuses, Mahamadou Koné, avait annoncé l’intention du gouvernement transitoire d’ouvrir des canaux de dialogue avec les groupes armés, dans une allusion faite à l’ancien diplomate, Iyad Ag Ghali, chef de l’organisation « Ansar Eddine » et à Amadou Koufa, leader du « Front de Libération de Macina », qui ont tous les deux la nationalité malienne.
Le ministre avait déclaré à Radio France International (RFI) que « le gouvernement a chargé le Haut Conseil islamique d’engager un dialogue avec le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GISM).
Trois jours après cette déclaration, le gouvernement a diffusé un communiqué dans lequel il dément en bloc « jusqu’à présent » avoir mandaté, officiellement, une quelconque organisation nationale ou internationale pour procéder à une pareille action.
Lorsque le gouvernement dément les propos de l’un de ses ministres au sujet d’une décision aussi sensible, cela reflète la désorganisation et les atermoiements en termes de détermination des priorités ainsi que de probables pressions extérieures exercées sur Bamako par des puissances internationales, au premier rang desquelles figure la France, pour se rétracter et revenir sur cette décision, encouragée par les Nations unies et l’Algérie.
Il convient de noter que les négociations avec les groupes armés, particulièrement avec Ag Ghali et Koufa, des alliés « d’al-Qaïda au Maghreb islamique » (AQMI), ne sont pas un fait nouveau, même si cela s’était déjà déroulé à des niveaux locaux, d’autant plus que le gouvernement avait évoqué, à maintes reprises, qu’il envisageait d’élargir la sphère, avant même de déposer le président Ibrahim Boubacar Keita, qui avait dévoilé au mois de février 2020 l’existence de contacts de ce genre.
En revanche, ce sont ces épisodes antérieurs qui provoquent l’étonnement quant à la décision du gouvernement « d’annuler » sa décision, en vertu de laquelle le Haut Conseil islamique, qui compte des prédicateurs et des associations religieuses, a été mandaté de mener les pourparlers avec Iyad Ag Ghali et Koufa.
– La France refuse de lâcher le Mali
Le fait que les autorités transitoires maliennes se disculpent de la décision mandatant le Haut Conseil islamique reflète une volonté de désescalade dans la crise politique qui les opposent à la France, principal allié de Bamako dans la lutte contre les groupes terroristes, qu’il s’agisse de ceux qui prêtent allégeance à l’organisation de Daech ou ceux loyaux à l’AQMI.
L’amorce par Bamako de négociations avec l’alliance conduite par Ag Ghali, emboîtant ainsi le pas aux Américains qui ont opté pour cette méthode dans leurs pourparlers avec les Taliban en Afghanistan est synonyme de l’échec de la France dans la lutte contre le terrorisme, concomitamment avec sa décision mettant fin à l’opération « Barkhane » et à son retrait du nord du Mali.
Cette orientation est refusée par le Président français, Emmanuel Macron, qui est engagé dans une élection présidentielle prévue au printemps prochain, et dont les cartes n’ont pas toutes été abattues à présent.
Tout gain qui sera engrangé par Iyad Ag Ghali et Koufa dans les pourparlers avec les autorités transitoires maliennes pourra être instrumentalisé comme argument de l’échec de la politique étrangère de Macron au cours de la campagne électorale.
De même, le gouvernement de Bamako ne souhaite pas atteindre un autre palier dans l’escalade avec Paris, en particulier, après les négociations menées avec la société russe Wagner, pour engager près d’un millier de mercenaires afin, de combler la vacance pouvant être générée par le retrait de 2500 à 3000 militaires français sur un total de 5100 éléments qui sont engagés dans l’Opération « Barkhane » au Sahel.
Les attaques et critiques entre Paris et Bamako ont atteint, au cours de la période écoulée, le point culminant de convoquer l’ambassadeur malien en place à Paris pour protester contre des déclarations faites par Macron, dans lesquelles il a critiqué de manière virulente le gouvernement malien.
Cependant, les relations entre les deux pays ont connu une sorte de trêve au cours des derniers jours, en témoigne l’audience accordée par le Chef du gouvernement malien Choguel Kokalla Maiga, le 26 octobre courant, à l’ambassadeur de France en poste à Bamako, Joël Mayer.
Le diplomate français a fait part de « la volonté de son pays de renforcer la coopération avec le Mali », mettant l’accent sur le fait que « la France ne se retirera pas du Mali », alors que Maïga a évoqué le besoin de « consolider la coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, l’insécurité, la corruption et l’impunité ».
Cette rencontre représente un indicateur sur le début de l’accalmie de la tempête qui était sur le point de faire exploser les relations entre les deux pays, ce qui explique que Bamako ait battu en retraite, en démentant avoir mandaté le Haut Conseil islamique de piloter les négociations avec les groupes armés.
Le même jour, le chef d’Etat-major de l’armée malienne, Omar Diarra, a accueilli une délégation du Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) conduite par le vice-directeur de la Stratégie et de la Planification, le général Marc Hofner, qui a souligné que Washington maintiendra son statut de « partenaire crédible des forces armées maliennes ».
Cela reflète une double volonté américaine et française d’empêcher Bamako de recourir aux mercenaires de Wagner, en contrepartie du non-renoncement par les deux capitales à leur soutien apporté à Bamako dans sa lutte contre le terrorisme.
– Mali craint la division du pays par la France
Le renoncement des autorités intérimaires au Mali au mandat accordé au Haut Conseil islamique d’engager des pourparlers avec les dirigeants des groupes armés dans le nord-est du pays, reflète leur crainte à ce que la France instrumentalise quelques dossiers sensibles, dont le plus dangereux demeure la division du pays et l’établissement d’un Etat des Touaregs dans le nord.
Le Chef du gouvernement malien a évoqué cette question au cours d’une interview accordée à la radio publique algérienne, lorsqu’il a lancé « qu’il existe certaines zones dans le nord du pays qui sont interdites d’accès à l’armée malienne par la France, ce qui nous a créé un Etat à l’intérieur de l’Etat ».
Plus grave encore selon Maiga, c’est « l’ancien Président français, Nicolas Sarkozy, (2007- 2012) qui avait promis à des rebelles dans le nord malien de leur accorder un Etat indépendant ».
Maiga a accusé la France d’avoir violé l’Accord conclu entre les deux pays, en 2013, qui prévoit d’offrir à l’armée malienne un soutien aérien et en matière de renseignement, alors que la France a déployé 4000 militaires sans concertation préalable avec Bamako.
Pour confirmer l’échec de l’intervention militaire française, Maiga a relevé que « le but de cette intervention était d’éradiquer le terrorisme, alors que ce fléau s’est propagé dans 80% de notre territoire, après qu’il était cantonné uniquement dans le nord ».
« Le rétablissement de l’unité du Mali n’a pas été possible car des groupes rebelles armés touaregs paradent avec leurs armes lourdes devant les forces internationales et françaises », a-t-il poursuivi.
L’ensemble de ces éléments expliquent l’inquiétude de Bamako au sujet du retrait de l’armée française du nord du pays, retrait devant permettre aux rebelles touaregs d’établir leur Etat et aboutir ainsi à la division du Mali en deux entités.
C’est dans cette optique que le Mali s’est orienté vers d’autres options pour éviter ce scénario catastrophe, en demandant un appui militaire russe à travers la compagnie sécuritaire Wagner, et en établissant des canaux de contact avec les groupes armés maliens alliés à al-Qaida, afin de les neutraliser au cas où l’armée malienne interviendrait dans le nord pour éviter la dislocation du pays.
Par ailleurs, Bamako a intensifié ses contacts avec Alger qui parraine le dialogue avec les rebelles touaregs et Azawad, pour éviter tout scénario de séparation le nord du sud du pays qui sera conduit par Paris.
Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a reçu le 22 octobre, le ministre malien de la Réconciliation, le lieutenant-colonel Ismail Wagué, et des responsables des Mouvements signataires de l’Accord de paix et de réconciliation de 2015, afin d’éviter l’effondrement de cet accord sous les pressions internes et externes.
L’Algérie a accueilli, également, Mahmoud Dicko, ancien président du Haut Conseil islamique au Mali (2018-2019) qui avait conduit des manifestations contre le régime de Boubacar Keita, pour le tenir informé de l’expérience algérienne dans le domaine de la réconciliation nationale.
Toutefois, Paris ne souhaite pas que Dicko joue un quelconque rôle dans la réconciliation avec les groupes armés, d’autant plus que Dicko avait conduit des manifestations dénonçant la présence des forces françaises au Mali.
De son côté, Bamako s’emploie à réajuster ses relations avec la France, qui sera amenée à revoir sa politique au Mali, afin d’éviter la perte totale de son influence au profit de la Russie et de l’Algérie.
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