Une lecture attentive de l’arrêté d’interdiction n°342 P/D/DK du 29 novembre 2019, du Préfet de Dakar permet de constater qu’il est frappé d’illégalité manifeste et qu’il encourt l’annulation. L’arrestation de Guy Marius SAGNA et de 7 autres citoyens ayant un fondement illégal (manifestation interdite), un recours pour excès de pouvoir doit être formé contre l’arrêté d’interdiction n°342 P/D/DK du 29 novembre 2019 (même si la manifestation a déjà lieu).
En effet, d’une part, les 3 motifs invoqués pour interdire la manifestation pacifique du 29 novembre 2019, sont infondés, et non motivés, et d’autre part, le délai de recours pour excès de pouvoir, est de 2 mois. Pour mémoire, concernant l’arrêt de la Cour suprême, n° 19 du 23 mai 2019, Assane Ba, Birane Barry et Djiby Ndiaye c/ Etat du Sénégal, Maître Assane Dioma N’Ndiaye avait, par requête en date du 24 septembre 2018, sollicité l’annulation d’un arrêt d’interdiction du Préfet du Département de Dakar, pris 1 mois plutôt (arrêté 0305 P/D/C du 31 aout 2018 qui interdisait un sit-in devant le Ministère de l’Intérieur).
Pour justifier, l’interdiction de la manifestation pacifique du 29 novembre 2019, le Préfet du Département a invoqué 3 motifs :
1- Motif 1 : L’imprécision de l’itinéraire sur la déclaration des organisateurs.
Cet argument est infondé, fallacieux et mensonger puisque dans l’article 1 de l’arrêté d’interdiction pris par le Préfet, il est écrit noir sur blanc « est interdite la marche projetée le 29 novembre 2019 de 15 heures à 19 heures, sur un itinéraire allant de la place de la Nation au palais présidentiel. L’itinéraire des organisateurs est très précis et ne souffre d’aucune ambiguïté (en invoquant le motif d’imprécision de l’itinéraire, le Préfet du Département de Dakar s’est piégé tout seul puisque l’article 1 de son arrêté d’interdiction n°342 P/D/DK du 29 novembre 2019 qui précise l’itinéraire, est en contradiction avec le 1er motif qui évoque une imprécision). Une hérésie qui plombe l’arrêté !
2- Motif 2 : Risques réels de trouble à l’ordre public.
Ce motif est insuffisant puisque l’article 14 de la loi n° 7802 du 29 janvier 1978 relative aux réunions dispose que l’autorité administrative peut interdire une réunion publique que si deux conditions cumulatives sont réunies : 1) d’une part, Qu’il existe une menace réelle de troubles à l’ordre public ; 2) Que l’autorité ne dispose pas de forces de sécurité nécessaires pour protéger les personnes et les biens. La loi est claire, nette et précise : le seul motif de trouble à l’ordre public n’est pas suffisant pour justifier une interdiction. Le motif lié à un risque (potentiel) de trouble à l’ordre public doit obligatoirement être couplé à un autre motif, celui justifiant l’indisponibilité ou l’insuffisance des forces de sécurité.
3- Motif 3 : Violation des dispositions de l’arrêté n° 7580 du 20 juillet 2011 (arrêté dit Ousmane NGOM).
ll convient une bonne fois pour toutes, de déconstruire le mythe créé au sujet de l’arrêté Ousmane NGOM du 20 juillet 2011 qui interdit tout rassemblement à caractère politique dans certains périmètres du centre-ville de Dakar. En effet, l’invocation de cet arrêté ne saurait en aucun cas, à lui seul, justifier l’interdiction d’une manifestation pacifique sur ces périmètres définis. Dans l’arrêt n°35 du 13/10/11, Alioune TINE, Président de la Rencontre Africaine des Droits de l’Homme (RADDHO), c/ Etat du Sénégal, et dans l’arrêt n° 19 du 23 mai 2019, par Assane Ba, Birane Barry et Djiby Ndiaye c/ Etat du Sénégal, la Cour suprême ne s’est jamais préoccupée de l’arrêté 7580 du 20 juillet 2011 pour annuler les arrêtés d’interdiction du Préfet du Département de Dakar. Suivant une jurisprudence constante, et invoquant l’article 10 de la Constitution et l’article 14 de la loi n° 7802 du 29 janvier 1978, la Cour suprême a toujours conclu que toute interdiction d’une manifestation doit être accompagnée d’éléments probants justifiant l’indisponibilité ou l’insuffisance des forces de sécurité. Lorsque le débat sur l’annulation ou non de l’arrêté Ousmane N’GOM, a été posé, sur la place publique, suite à l’arrêt n° 19 de la Cour suprême en date du 23 mai 2019, la Haute Juridiction a publié un communiqué le 24 mai 2019 pour préciser qu’une jurisprudence constante de la Cour suprême est fondée sur la Constitution et la loi numéro 78-02 du 29 janvier 1978 relative aux réunions. Arrêté Ousmane NGOM ou arrêté tartempion n’y changent strictement rien.
Jusqu’à présent, la jurisprudence de la Cour suprême est invariablement la même : pour interdire une réunion publique, l’autorité administrative doit parallèlement à d’autres motifs évoqués, justifier l’indisponibilité ou l’insuffisance de forces de sécurité nécessaires au maintien de l’ordre.
Contrairement à une opinion répandue, et martelée 10 000 fois, l’arrêté n° 7580 du 20 juillet 2011 appelé communément arrêté Ousmane NGOM, ne constitue aucun obstacle pour la tenue d’une manifestation dans certains périmètres du centre-ville. La Cour suprême ne raisonne pas « arrêté Ousmane N’GOM », mais apprécie les recours en annulation des interdictions de manifester, suivant les dispositions de l’article 10 de la Constitution et de l’article 14 de la loi n° 7802 du 29 janvier 1978.
C’est le cas de 2011 à 2019.
En effet, depuis 2011, une jurisprudence constante de la Cour suprême frappe de nullité tout arrêté du Préfet qui, pour interdire un rassemblement pacifique, invoque le risque d’atteinte à la libre circulation des biens et des personnes, le risque d’entrave à la continuité du service public, le risque de trouble public ou d’atteinte à la sécurité et à la tranquillité, sans justifier l’indisponibilité ou l’insuffisance des forces de sécurité pour y remédier ».
Face à un régime déviant, sans foi, ni loi, qui use de la violence d’Etat, instaure la terreur, et souhaite assujettir les sénégalais, privés de leurs droits les plus élémentaires (le droit de protester contre la vie chère), le statu quo (attentisme) n’est plus tenable. Seule une mobilisation massive du peuple est en mesure de rétablir les choses à l’endroit et de mettre fin aux dérives interminables de ce régime.
Toutes les forces démocratiques, tous les enseignants des Universités de Dakar, Thiès, Ziguinchor, tous les étudiants et élèves, toutes les organisations de la société civile, tous les partis politiques et tous les citoyens épris de droit, de justice et de démocratie, doivent dans un sursaut salutaire, se dresser comme un seul homme contre ce régime déviant, liberticide et monstrueux. L’heure est très grave : les sénégalais n’ont désormais même plus le droit élémentaire, dans leur propre pays, d’exprimer leurs souffrances et de protester pacifiquement contre la vie chère (hausse des coûts de l’électricité).
Cordialement
Seybani SOUGOU