Par Benoît Ngom
Juriste, précisément constitutionnaliste, Benoît Ngom dispose d’une longue expérience dans la médiation et la résolution des crises politiques en Afrique, de Johannesburg à Lomé. Président de l’Academie Diplomatique Africaine, l’intellectuel suit avec une attention particulière les évolutions de l’actualité politique et judiciaire de son pays, le Sénégal. Ci-dessous, sa chronique sur une affaire qui ne laisse personne indiffèrent.
L’AUTONOMIE DU JUGE FACE A LA LIBERTE D’EXPRESSION
Les arrestations de GUY Marius SAGNA et de Adama GAYE posent des questions essentielles liées à l’exercice responsable de la liberté d’opinion et d’expression. En effet, beaucoup de nos concitoyens sont choqués par l’outrecuidance des propos que certains sénégalais tiennent à l’égard des hautes autorités de l’Etat notamment du Président de la République…
De même, beaucoup de nos compatriotes sont stupéfaits par l’automaticité ressentie des sanctions privatives de liberté décidées par le juge dans certaines affaires. Ainsi, de même qu’on peut se demander si la violence de certains propos est une fatalité dans le débat sénégalais, on ne peut pas ne pas se poser la question de savoir si le Juge sénégalais jouit d’une réelle marge de manœuvre dans l’appréciation de la proportionnalité de la sanction dans les cas concernant l’exercice de la liberté d’opinion et la liberté d’expression.
En clair, pourquoi le Juge sénégalais n’utilise presque jamais dans ces cas des mesures de limitation de liberté telle que le contrôle judiciaire ? Est –il toujours nécessaire de garder des citoyens dans les liens de la prévention afin de faire des enquêtes sur des déclarations orales ou écrites dont la réalité participe parfois du truisme ?
En vérité, il convient de le souligner, aucun Etat ne peut protéger le Président de la République et sa famille contre les attaques désobligeantes en ne comptant que sur la répression pénale.
C’est dans cette perspective qu’il convient d’analyser la situation de Guy Marius SAGNA et d’Adama GAYE, deux militants des grandes causes africaines dont la façon d’agir peut ne pas être partagée par tout le monde mais dont le vécu actif ne peut laisser personne indifférent.
GUY MARIUS SAGNA OU LA CONTESTATION EN BANDOUILLERE
Guy Marius SAGNA est le prototype du militant engagé presque à plein temps pour les causes qu’il estime justes et qui s’arc-eboute pour le succès de cette conviction. C’est en considération de cette observation que j’ai du mal à voir dans ses actions ce qui peut être considéré comme une quelconque entorse à l’exercice de la liberté d’expression.
Ce que je sais de Monsieur SAGNA est qu’il prône « France dégage » et l’abandon du franc CFA. Des positions souvent plus romantiques que déstabilisatrices. Quand nous étions plus jeunes dans les grands débats théoriques, on disait des militants comme GUY Marius qu’ils adoptaient des positions de crêtes que certains modérés comme nous autres ne pouvions facilement atteindre.
Ainsi fallait –t-il toujours bien aménager nos camps de base et attendre qu’ils redescendent des sommets des montagnes idéologiques. Toutefois, dans tous les pays du Monde c’est grâce aux sacrifices personnels et aux rêveries de personne comme GUY Marius que ceux qui étaient au bas de la montagne ont fini par escalader les sommets.
A cet égard, qui peut s’imaginer depuis des années de chasse aux faciès dans certains endroits de France qu’on puisse poursuivre un français de l’extrême droite par exemple, lui priver de sa liberté, parce qu’il a dit qu’il faut chasser les immigrés de France? Que Monsieur SAGNA demande, s’il le veut bien, avec ses jeunes amis sénégalais et africains, que la «France dégage», en quoi cela a empêché les sociétés commerciales françaises de s’implanter partout au Sénégal et de donner de plus en plus aux Sénégalais le goût des espaces climatisés et des produits locaux à portée de main !!!
Mais malgré tout, GUY SAGNA, porte-parole d’une dynamique et vaillante jeunesse africaine, a le droit comme cela se fait ailleurs dans le Monde, de poser des questions qui participent de la réalisation de son futur. Une telle attitude ne devrait pas susciter certaines formes d’hystérie totalement inutile contre ces jeunes dont la menace sur l’évolution pacifique du Sénégal nous parait plus imaginaire que réelle.
ADAMA ET LE PIEGE DU SOLILOQUE
Par la presse, nous apprenions avec stupéfaction l’arrestation de Adama GAYE le lundi 29 Juillet dernier. Adama Gaye, est une vieille relation que j’ai toujours connue persévérant et méthodique. A-t-il été imprudent en ne procédant pas à une dernière relecture de la publication incriminée ? Je crois que non si je m’en tiens à certaines informations qui, selon la presse, auraient fuité de son interrogatoire par le juge et qui sembleraient indiquer que sa page Facebook aurait été piratée.
Par ailleurs, il est dit que le texte qui serait reproché à Adama GAYE aurait été écrit il y’a plusieurs semaines, mais résidant à Londres, il n’a été accessible qu’en effectuant un voyage à Dakar. A cet égard, Adama GAYE en homme averti, aurait –il pu oublier le contenu de ses écrits en se rendant à Dakar ? Par ailleurs, que serait advenu du délit d’offense au chef de l’Etat si Adama Gaye était resté à Londres ? En effet, l’offense contre le chef de l’Etat n’aurait été connue que des Initiés.
A cet égard, je tiens à témoigner que ADAMA a toujours été un homme motivé par l’engagement pour les grandes causes africaines. Nous nous sommes rencontrés au début des années 80 dans ces espaces favorables à la naissance et au développement de la fraternité virile née de mes actions de Juristes en faveurs de la défense et de la promotion des droits de l’homme en Afrique et lui de ses initiatives de jeune journaliste parcourant le Continent pour interpeler nos dirigeants. Dans cet esprit, il a toujours soutenu les initiatives menées par notre Association de Juristes en faveur de l’avènement de l’Etat de droit à travers notre Continent.
Tout Ceci pour dire, que Adama mérite beaucoup mieux que d’être voué aux gémonies par certains pour faire plaisir souvent à d’autres qui très souvent plus pragmatiques et plus vigilants n’en demandent pas autant.
LE COUPLE PRESIDENTIEL A L’EPREUVE DES RESEAUX SOCIAUX
Les insultes intempestives et malveillantes dirigées contre le Président Macky Sall voire son couple nous paraissent intimement liées à l’évolution déréglée des cadres de concertation et de dialogue depuis l’avènement des réseaux sociaux.
Dans ces espaces de soliloque, les discussions sont réduites à de simples bavardages souvent partisans. En clair, nous avons aujourd’hui dans le pays des ilots idéologiques qui refusent de communiquer, voire de s’écouter.
Mais ce mal qui frappe certains «anti» touche certains «Pros» Macky qui, calfeutrés dans leurs certitudes, ne s’imaginent pas devoir se donner les moyens de comprendre le sens et la signification des programmes lancés par leur leader, le Président de la République.
Or, le piège de la violence verbale qui nous empêche d’échanger sur les problèmes fondamentaux est essentiellement lié à cette absence de débat.
Dans cet esprit, nous ne pouvons que saluer plusieurs initiatives du Président de la République qui peuvent être interprétées comme des interpellations de l’élite sénégalaise à la confrontation des idées.
Ainsi, à l’égard de ses partisans, la premier souvenir qui me vient à l’esprit est une digression qu’il fut lors de la présentation de son livre bilan. En effet dans le cadre accueillant d’un hôtel de Dakar légèrement baigné par le souffle fécondant de l’océan Atlantique, à un moment de son exposé, entre la note d’humour sur le dessert des tirailleurs sénégalais, propos mal pris par certains mais qui n’avaient rien d’ironique, me semble-t-il , et une évocation de la contribution à la pensée démocratique de Thierno Souleymane BAAL, le Président de la République s’est demandé pourquoi ses partisans ne pouvaient pas au moins expliquer ses actions et ses œuvres qui étaient connues de tous.
Par ailleurs, très récemment, comme s’il voulait titiller ses opposants, n’est-ce pas le Président de la République qui a reconnu personnellement qu’en l’espace de 7 ans son gouvernement a dépensé des centaines de milliards de francs pour acheter des voitures et payer des frais de communication.
Dans cet esprit, ne peut-on pas voir dans ces différentes interpellations du Président de la République une façon d’aiguillonner l’élite sénégalaise et de l’inviter à un retour à la réflexion sur la «gouvernance sobre et vertueuse» ?
Les difficultés sociales très ardues vécues par une grande partie de la population devraient inviter d’avantage les dirigeants et cadres du pays à s’exprimer plus explicitement sur le sort quotidien de nos concitoyens. Bon nombre d’entre eux n’ont pas la force de se projeter dans les perspectives paradisiaques dont sont porteurs beaucoup de nos intellectuels.
Tout ce monde, qui au saut du lit se demande de quoi le jour sera fait, est beaucoup plus attiré par les actions pragmatiques de la Première Dame par exemple qui participe de leur survie que par des promesses oniriques dont la tenue n’est nullement garantie. Par conséquent, il est important que l’intelligentsia sénégalaise se colle de plus à l’expression des besoins réels des populations de base.
A cet égard, Je peux dire combien j’ai apprécié que la Première Dame ait compris qu’à travers sa Fondation, la défense et la promotion des droits de l’homme ne sauraient être limitées à la seule question de l’emprisonnement ou la libération de certains citoyens.
Madame Mariéme Faye Sall a compris que les militants des droits de l’homme doivent aussi penser à la détresse de nos concitoyens qui, pauvres ou impotents, dans leurs habitats de fortune, devraient pouvoir bénéficier de certains lieux de solitude comme des toilettes décentes. Elle a compris aussi qu’il fallait avoir plus que de l’empathie pour nos enfants qui étudient sous les abris provisoires et qui pourtant à la fin de l’année désirent participer au «concours général» comme leurs jeunes concitoyens qui résidant dans les zones les plus privilégiées ne rencontrent aucune difficulté particulière pour mener à bien leur scolarité.
Dans cet esprit, je pense qu’au lieu d’être agressée, même par ricochet, Madame Faye Sall devrait être érigée en symbole pour les Femmes et Hommes de bonne volonté qui veulent agir comme elle pour préserver la paix sociale au Sénégal. En ce sens, elle devrait plutôt être sollicitée pour continuer à alimenter d’avantage par ses actions sociales et humanitaires actuelles et futures les débats sur la lutte contre la pauvreté, la malnutrition et pour le renforcement du plateau technique des hôpitaux du Sénégal.
POUR UNE RENAISSANCE DU DEBAT NATIONAL
En vérité, dans une société sénégalaise très castratrice, où les jeunes sont très peu habitués à se former une opinion, certains jeunes, certains mouvements, pourvu qu’ils respectent nos us et coutumes,, doivent être encouragés à contribuer à l’expression et à la consolidation de la démocratie sénégalaise. A cet égard, il est important de former les jeunes et les citoyens d’une manière générale à pouvoir s’écouter, à discuter entre eux et éviter les invectives et les attaques personnelles qui, faute de fondement rationnel, ne peuvent contribuer en rien au développement du Sénégal.
Le Pouvoir ne doit pas privilégier la répression sur les duels de l’intelligence. En effet, cela ne peut qu’encourager les adeptes de l’usage de la force à agir à leur guise. Dans un pays comme le Sénégal où l’obscurantisme doublé d’une certaine forme de fatalité a de beaux jours devant lui, il est important que le Président de la République qui veut fonder le développement du pays sur le projet rationnel du PSE agisse avec vigueur pour changer des comportements.
A cet égard, l’affaire récente de la pharmacie Fadilou Mbacké où un Commissaire de police a pensé pouvoir s’arroger le droit d’obliger un Pharmacien à agir contrairement aux textes qui régissent la délivrance des médicaments est une illustration de l’autoritarisme ambiant et du primat de l’égoïsme sur la soumission à la Loi.
Contrairement à ces initiatives d’un autre âge, les groupes de jeunes ou mouvements de la société civile doivent toujours porter en bandoulière l’intérêt général et le bien commun. C’est dans cet esprit, à notre humble avis, que le Mouvement Aar li nu bokk qui peut être une plateforme de renaissance de la société civile sénégalaise doit être de plus en plus convaincue que li nu bokk ne peut être limité au Gaz et au Pétrole.
Dans cet esprit, nos mouvements de la société civile doivent privilégier la recherche et la réflexion sur les questions économiques, en constituant des dossiers bien élaborés , lesquels seront présentés par des connaisseurs devant des aéropages de cadres et intellectuels qui se chargeront aussi de la grande vulgarisation auprès la majorité silencieuse du peuple qui ne demande qu’à savoir et à comprendre avant toute mobilisation de rue.
Le Sénégal doit renouer avec les grands débats, les confrontations fraternelles et respectueuses des idées sans lesquelles, il n’aura point d’émergence du pays.
A la lumière des considérations qui précédent et en nous fondant sur les principes généraux du droit, sur la coutume des Nations libres et civilisées avec lesquelles le Sénégal partage la volonté inébranlable de protéger en tout temps et en tout lieu le respect des principes de la Liberté d’opinion, d’expression et d’aller et de venir, nous lançons un appel solennel à Monsieur le Président de la République, afin qu’en considération uniquement de son intime conviction, qu’il use de son influence avec l’Assistance de ses brillants conseillers afin que Adama GAYE, GUY Marius SAGNA et tous ceux susceptibles d’être concernés puissent recouvrer le plus rapidement possible leur Liberté et participer au futur grand «Débattons National» qui, comme tout intellectuel digne de son nom, vous est naturellement très cher.
Benoit NGOM
Président Fondateur de l’Académie Diplomatique Africaine
Fondateur de l’Association des Juristes Africains