Le groupe terroriste Daech a essuyé deux grands coups dans les régions du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest après la mort des deux dirigeants de l’organisation dans ces zones, qui étaient devenus un nouveau fief pour diriger le groupe après l’effondrement de ses bastions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Le 15 octobre écoulé, l’armée du Nigéria a confirmé la mort d’Abou Mossaab Barnaoui, chef de Daech-Afrique de l’Ouest, après l’avoir annoncé une première fois en septembre dernier.
Le chef d’Etat-major de l’armée nigériane, le général Lucky Irabor, avait déclaré que Barnaoui « était mort et l’est encore », sans fournir de détails sur son élimination, que ce soit dans un raid aérien ou dans une opération militaire, ou s’il avait été éliminé des suites d’un conflit interne pour prendre la direction de l’organisation.
De son côté, la France avait confirmé le 15 septembre la mort de Adnan Abou Walid Sahraoui, chef de Daech au Grand Sahara, qui a succombé à des blessures contractées lors d’un raid mené par des éléments de l’opération « Barkhane », un mois plus tôt.
Si le groupe Daech avait confirmé l’élimination de Sahraoui, il n’a pas jusqu’à maintenant infirmé ou confirmé la mort de Barnaoui par l’armée nigériane, de même que les Etats-Unis d’Amérique et leurs institutions officielles, qui suivent le dossier du terrorisme au Sahel de près, n’ont pas publié de communiqué à cet effet.
Pour sa part, le conseiller à la Sécurité nationale au Nigeria, Babagana Monguno, avait annoncé, le 22 octobre, la « mort de Malam Bako qui a succédé récemment à Barnaoui, en tant que chef de l’organisation de Daech en Afrique de l’Ouest, plus tôt au courant de cette semaine ».
Si l’élimination de Barnaoui et de Bako est confirmée après celle de Sahraoui, Daech aurait ainsi essuyé un coup dur au niveau de sa direction dans deux de ses principaux fiefs en Afrique, après l’effondrement de ses bastions en Syrie, en Irak et en Libye.
Des interrogations sont toujours soulevées quant au degré d’impact de l’élimination de deux chefs fondateurs de Daech au Sahara et en Afrique de l’Ouest sur la cohésion de l’organisation et sur la poursuite de son activité dans deux de ses principaux fiefs actifs actuellement. Cela aboutirait-il à sa dislocation et à sa disparition progressive ou pas ?
– Un coup dur mais pas fatal
Il serait prématuré d’évoquer le début de la dislocation de Daech dans les régions du Sahel et du Nord-est du Nigeria, malgré l’élimination de dirigeants fondateurs de la stature d’Abou Walid Sahraoui, fondateur du « Groupe de l’Unicité et du Combat » en Afrique de l’Ouest qui avait prêté allégeance à Daech après son alliance avec le Groupe de Mokhtar Belmokhtar (Signataires par le sang), bien que ce dernier s’y était opposé, ce qui avait provoqué à l’époque une dissension.
Daech au Grand Sahara avait engagé des affrontements limités avec les groupes fidèles à Al-Qaïda au Mali, au Niger et au Burkina Faso, mais a échoué à éradiquer ces groupes ou à s’emparer de leurs zones d’influence.
De son côté, le groupe de « Soutien à l’Islam et aux Musulmans » (GSIM), qui compte en son sein quatre groupes armés proches d’Al-Qaïda, s’était déployé dans le nord du Mali, alors que Daech au Grand Sahara s’était installé dans la région des trois frontières (Mali, Niger, Burkina Faso).
C’est dans cette région que l’opération française « Barkhane » et les armées des cinq pays du Sahel (Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso, Mauritanie) avaient intensifié leurs opérations, bénéficiant également de l’aide logistiques et des renseignements apportés par les forces américaines déployées dans la zone.
Quant à Barnaoui (Youcef Habib), fils de Mohamed Youcef, fondateur du groupe de Boko Haram, c’est lui qui a été choisi par Daech pour diriger la région de l’Afrique de l’Ouest et avait été préféré à Abubakar Shekau, chef du groupe Boko Haram qui avait prêté allégeance à l’organisation terroriste en 2015, provoquant ainsi une dissension entre les deux camps de Barnaoui et de Shekau,
Alors que Barnaoui s’est déployé dans la région du Lac Tchad, Shekau, quant à lui, a fortifié ses positions dans la forêt de Sambisa, dans le nord-est du Nigeria. Les affrontements entre les deux camps ont abouti à la prise de contrôle par Daech en Afrique de l’Ouest du bastion de Boko Haram et Shekau s’est fait exploser afin d’éviter de tomber en otage aux mains de Barnaoui, au mois de mai dernier.
La mort de Shekau a généré une capitulation de milliers d’éléments relevant de Boko Haram ou qui lui sont affiliés, et qui se sont rendus à l’armée nigériane. Il n’est pas d’ailleurs exclu que l’armée du Nigéria ait tiré profit des renseignements et des informations obtenus auprès de dirigeants de Boko Haram qui s’étaient rendus pour faire chuter Barnaoui et son successeur Malam Bako.
Par ailleurs, l’expérience de nombreux groupes terroristes et extrémistes dévoile que l’élimination de leurs dirigeants les affaiblit mais ne les éradique pas, dans la mesure où ces groupes parviennent à se régénérer et à faire aboutir de nouvelles directions à leurs têtes, de manière routinière, compte tenu de la nature de leurs activités et du fait de la forte probabilité d’élimination de leurs dirigeants à n’importe quel moment, vu qu’ils sont traqués par plusieurs armées qu’elles soient locales ou relevant de puissances étrangères.
L’élimination d’un dirigeant d’un groupe armé devient destructrice pour le groupe si cela provoquait un conflit autour de la succession et qui aboutirait à une dissension et à un conflit armé entre les différents camps. Ainsi, le groupe est usé de l’intérieur et pourrait disparaître sous les coups des armées locales, comme cela s’est produit pour le Groupe Islamique Armé (GIA) en Algérie entre 1993 et 1997.
De même, l’élimination de Abdelmalek Droukdel, chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et de Mokhtar Belmokhtar, chef de la Brigade al-Mourabitoun, deux groupes faisant partie du GSIM, qui comporte également le groupe de Ansâr Eddine et le Front de Libération de Macina, n’avait pas abouti à la fin de l’activité d’Al-Qaïda au Sahel, mais pourrait ouvrir la porte à un dialogue entre le gouvernement malien et les deux organisations qui sont les moins extrémistes par rapport à d’autres entités.
– Réorganisation de Daech en Afrique
Selon plusieurs Centres d’études spécialisés dans l’observation de l’activité des groupes terroristes, Daech au Grand Sahara et en Afrique de l’Ouest ont amorcé une phase de réorganisation de leur activité dans la région.
En effet, après avoir dominé la majeure partie de l’Etat nigérian de Borno (nord-est) y compris des zones relevant du Bassin du Lac Tchad et les liens établis avec ses fiefs au Sahara, Daech s’emploie à unifier cette vaste région pour la partager en provinces.
Il ressort d’une étude de l’Institut pour les Etudes sécuritaires en Afrique de l’Ouest, une proposition de plan pour la restructuration de Daech dans la zone, en créant quatre provinces dans le Lac Tchad, à Tombouctou (nord du Mali) à Tomouma (Guinée) et dans la forêt de Sambisa, sous une direction centralisée à Borno.
Daech au Sahara et en Afrique de l’Ouest a tiré profit de l’arrivée de milliers d’éléments du groupe qui étaient en Irak, en Syrie et en Libye, ce qui a consolidé la force de l’organisation dans la région et l’a aidé à battre Boko Haram dans le nord-est du Nigeria.
Dans un rapport publié en 2018, le « Centre de l’Afrique de l’Ouest pour la lutte contre l’extrémisme » a souligné que « près de 6000 éléments issus des Etats de l’Afrique de l’Ouest, et qui avaient combattu dans les rangs de Daech en Irak et en Syrie sont retournés dans leur pays respectifs après l’effondrement du Califat proclamée par l’organisation ».
Il n’est pas exclu que ces revenants ont adhéré à nouveau à Daech en Afrique de l’Ouest, ce qui double les risques de déploiement de l’organisation dans la région, compte tenu de leur expérience acquise en matière d’organisation et de combat.
Cette approche est renforcée par la publication, en août dernier, par l’Institut pour les Etudes sécuritaires en Afrique (indépendant, basé à Pretoria) d’un rapport qui indique que 130 anciens combattants ou plus ont rejoint Daech en Afrique de l’Ouest, à leur retour de Libye, entre les mois d’avril et de juin derniers.
L’institut a prévu que 70 autres combattants, actuellement en Libye, s’apprêtent à rejoindre Daech en Afrique de l’Ouest, sans pour autant préciser la date de leur retour.
Ces rapports sécuritaires indiquent que la zone de l’Afrique de l’Ouest polarise désormais les éléments de Daech qui ont fui l’Irak, la Syrie et la Libye, ce qui est synonyme de l’accroissement de la force du groupe terroriste et pourrait l’inciter à se restructurer tout en provoquant des dissensions et des conflits entre les directions locales et celles en provenance de l’extérieur.
Il n’est pas exclu que des liquidations internes se produiraient pour prendre le contrôle par les dirigeants en provenance de l’étranger pour dominer Daech au Grand Sahara et en Afrique de l’Ouest. L’on pourrait d’ailleurs assister à une extension de l’organisation jusqu’à d’autres pays riverains du Golfe de la Guinée.
De même que Daech pourrait faire face à des organisations loyales à Al-Qaïda au Nord-Mali pour les engloutir, comme cela s’est produit avec Boko Haram, à travers l’élimination de leurs dirigeants et pour faire adhérer leurs éléments sous le slogan de l’unité entre les groupes armés.
L’ensemble de ces évolutions posent un défi aux pays de la région qui seront amenés à se réorganiser et à renouveler leurs alliances pour éviter d’attendre le parachèvement de la restructuration et du redéploiement de Daech, d’autant plus que d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, tels que le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Ghana, le Sénégal, et la Guinée-Bissau, pourraient être à l’avenir sous la menace de Daech.
AA.