Ce n’est plus un secret de dire que l’opposition et le pouvoir du président Macky SALL sont à couteaux tirés. Entre la volonté d’un troisième mandat illégitime et l’invalidation d’avance de plusieurs candidatures issues de l’opposition, le Sénégal est à la croisée des chemins. Et pour apaiser le processus électoral, Paris a décidé de prendre langue avec l’opposition radicale au président sénégalais.
Dans un courrier daté du 3 avril et adressé au député du Parti communiste français (PCF) Jean-Paul Lecoq, la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, dit avoir fait part aux autorités sénégalaises de « [son] inquiétude quant à l’accroissement des tensions à l’approche de l’élection de 2024 ».
« La poursuite de cette situation serait en effet préjudiciable pour le Sénégal, avec lequel nous entretenons des relations riches et denses », précise la cheffe de la diplomatie, qui prend néanmoins soin de préciser que l’Hexagone « n’a pas vocation à s’immiscer dans la vie politique sénégalaise ». En outre, le Quai d’Orsay (ministère des affaires étrangères) demeure « [attentif] à la préparation et au déroulement du processus électoral à venir » que la France souhaite « apaisé, inclusif, transparent et conforme aux standards internationaux ». Catherine Colonna répondait ainsi à l’interpellation, le 17 mars, du député de Seine-Maritime, sur la situation politique au Sénégal, alors que s’ouvrait la veille le procès en diffamation de l’opposant principal à Macky Sall, Ousmane Sonko, marqué par des heurts entre les partisans de ce dernier et les forces de l’ordre.
Dans sa lettre à la ministre, co-signée avec André Chassaigne, le président du groupe parlementaire communiste Gauche démocrate et républicaine (GDR), Jean-Paul Lecoq « dénonçait les tentatives d’intimidations, menaces et actions judiciaires contre les opposants politiques du président Macky Sall », dont le maire de Ziguinchor issu de la principale coalition de l’opposition « Yewwi Askan Wi ». Autant d’actes qui « contribuent à créer des tensions qui pourraient, au moindre accident, dégénérer de manière violente ».
L’élu communiste, dont est proche Ousmane Diop, le coordonnateur des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) en Normandie, se faisait également le porte-parole « de très nombreux Sénégalais » qui, selon lui, « se soulèvent face à ce qu’ils considèrent comme un harcèlement judiciaire visant à faire tomber l’opposant politique le mieux placé pour l’emporter à la prochaine élection présidentielle ». Il attirait également l’attention sur « la menace pour la stabilité démocratique sénégalaise et plus largement la stabilité de la région » que constituerait un troisième mandat de Macky Sall.
« Aucune leçon à recevoir de la France »
Ce courrier, qui a fuité dans la presse sénégalaise, a suscité une virulente réaction de la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yakaar (BBY). « Votre insipide lettre révèle, malheureusement, encore une fois, la difficulté d’une certaine partie de la classe politique française à se départir du transcendantal colonial », a répondu le 24 mars Oumar Youm, président du groupe parlementaire de la majorité présidentielle. « Il n’y a aucun problème entre le président Macky Sall et l’opposition sénégalaise. Notre pays est une démocratie majeure où personne n’est inquiété pour ses opinions ».
« Nous n’avons aucune leçon à recevoir de la France. Et la France n’a pas à nous dire ce qu’on doit faire de notre politique intérieure » abonde également un haut cadre de l’Alliance pour la République (APR), le parti présidentiel sénégalais, rencontré par JA début avril à Dakar. Depuis plusieurs mois, l’opposition ne cesse d’interpeller les chancelleries occidentales sur les violations des libertés dont elle se dit victime. Sa stratégie a-t-elle porté ses fruits ? Dans son courrier, Catherine Colonna a, pour la première fois, reconnu maintenir « un dialogue régulier avec l’ensemble des acteurs politiques sénégalais, notamment l’opposition et la société civile ».
Dans un tweet posté à la mi-avril, Ousmane Sonko avait lui-même révélé avoir eu, en mars, un entretien sur les relations entre la France et le Sénégal avec des émissaires de l’Élysée de passage à Dakar, dont Nadège Chouat, numéro deux de la cellule Afrique. Le président du Pastef, dont plus d’une dizaine de cadres ont maille à partir avec la justice (selon un décompte de la formation politique), annonçait également avoir longuement échangé avec Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise (LFI).
Ousmane Sonko, qui pourrait être déclaré inéligible s’il écope d’une peine plus sévère lors de son procès en appel pour diffamation qui débutera le 8 mai, a déjà renoué avec sa tournée nationale, interrompue il y a plusieurs semaines. Il devrait donc se rendre à Tivaouane le 29 avril, après être passé dans différentes villes de la Casamance, au sud du Sénégal. Macky Sall, de son côté, a réaffirmé le 26 avril en Conseil des ministres « sa disponibilité et son engagement à consolider le dialogue et la concertation avec toutes les forces vives de la Nation ».