mardi, 23 avril 2024 11:17

Crise du Covid19, « le Journalisme impose sa nécessité et sa grandeur retrouvées »

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Avec la crise du Covid-19, les médias retrouvent une forte légitimité. Un constat que démontre à travers son expérience, ses relations mais surtout l’appui de Hamidou Sampy émérite homme de média malien, Pape Sané, Journaliste Spécialiste des questions de Sécurité, Défense et de crises.

Avec la crise sanitaire du Covid 19, les journalistes et la presse en général retrouvent une forte légitimité, n’en déplaise aux tenants du pouvoir adeptes de la pensée unique. Un regard critique depuis les premiers jours où l’OMS en avait fait une urgence sanitaire, nous permet de mieux cerner l’état d’esprit des sénégalais en ces temps de crise sanitaire qui révèle que la consommation média de nos compatriotes a plus évolué pour bon d’entre eux, au détriment des réseaux sociaux, se tournant de plus en plus délibérément vers les sources qu’ils jugent « fiables ».Qu’elle soit écrite, parlée ou télévisée, la presse retrouve ainsi une légitimité et un taux de confiance comme elle n’en avait plus connu depuis qu’une petite musique technologique cherche à nous persuader que l’abondance et l’hyper vitesse de l’information sont les seuls garants de la vérité. Plusieurs sénégalais se sentent aujourd’hui très bien informés par les médias traditionnels. Un constat qui ne surprend pas Pape Sané, Journaliste Spécialiste des Questions de Sécurité, Défense et des Crises.
Ce spécialiste contribue depuis longtemps à valoriser à travers ses voyages, ses contacts et ses « recherches«  une conception de la communication qui privilégie l’homme et la démocratie plutôt que la technique et l’économie. « Le journalisme est un bien rare », lui avait lancé Hamidou Sampy le Directeur de Publication de Mali-Online qui le soutient dans l’écriture de l’essai à paraître  « Vive la désinformation. La victoire de la dictature  ».

La gestion de la crise passe pour être un des éléments du Nouvel Ordre Mondial mais, les temps ont changé, la consommation de l’info aussi. Les gouvernements n’ont pas pu s’adapter jouant sur une communication (Dramatique) de crise sans effets .Etait-ce prévisible ?

La situation est angoissante, on veut donc savoir. A tout prix. Et là, l’opinion publique se rend compte que les médias traditionnels dont on leur dit depuis plus de dix ans qu’ils sont archaïques, incapables de tenir le rythme de l’hyper vitesse qui serait l’essence même de l’information, là ou les réseaux sociaux seraient l’apanage de la liberté d’informer ; que ces médias traditionnels donc – la télé, la radio et la presse écrite qu’elle soit digitale ou papier – sont légitimes. Ces propos étaient légitimés par l’ancien opposant devenu président de la république.

Macky Sall disait : « Il faut que futur président de la République, quel qu’il soit, se dise qu’il y’a une vigie populaire, une vigie citoyenne qui est là, qui va observer les faits et gestes du nouveau pouvoir, c’est ce que j’appelais la magie du clic à travers les réseaux sociaux qui fera face à la toute-puissance du fric et du fli. Donc quel que soit le président, il ne peut plus se permettre de faire ce qu’il veut ; les majorités aussi ne peuvent plus se permettre de faire ce qu’elles veulent…»

Aujourd’hui, cette crise nous a tellement angoissée que presque inconsciemment, chacun s’est retourné vers le vrai journalisme dans un besoin de compréhension du réel. Et ce beau métier de journaliste est redevenu pour l’opinion un vrai « service public ».

Les citoyens applaudissent devant une telle responsabilité mais s’interrogent. Est ce un comportement sans lendemain lié au caractère exceptionnel de cette pandémie où le réveil de la vigie laissée aux réseaux sociaux ?

Selon Pape Sané, « Je ne le crois pas. Depuis vingt ans, les détenteurs des réseaux sociaux ont tenté de nous convaincre que tout le monde pouvait être journaliste. Ce qui n’est pas possible même si tout le monde donner une expression. Chacun n’est pas journaliste, comme chacun n’est pas électricien ou plombier sous prétexte qu’il bricole chez lui. Cette crise a eu un effet loupe pour les citoyens : les réseaux sociaux sont le théâtre de l’expression, mais pas de l’information. Sur le terrain de la quête planétaire d’informations pendant une crise brutale, les réseaux continuent d’alerter mais, ont perdu leur capacité de fascination dans la crise du Covid19 ».

Les réseaux sociaux qui sont une nécessité pour le monde d’aujourd’hui face à la précarité des journalistes et non pas des patrons de presse aptes pour la plupart à « gérer leurs intérêts » qui ne seront jamais ceux des journalistes , sont redevenus le temps de cette crise ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être : un lieu où l’on s’exprime librement . Or informer, c’est vérifier avant de partager, c’est donner des outils de compréhension du monde. L’information n’a de raison d’être que si on l’écoute. Sur les réseaux sociaux, tout le monde s’exprime, mais personne n’écoute personne. Du moins dans un pays « démocratique » comme le nôtre. Je suis bien évidemment le dernier à souligner l’importance des réseaux sociaux dans les pays vivant sous dictature.

Conscient que cette crise serait sans précédent avec son corollaire de morts , de révoltes et d’une aspiration à bien être informée, l’état était dans l’obligation d’appeler au secours cette bonne vieille presse qu’elle traite d’opposants en fonction de ses intérêts. Les modes de consommation de l’information auraient donc changé en quelques semaines ?

Oui. Et nos gouvernants n’ont pas su anticipé cette quête des citoyens. En restant prisonnière pendant la crise du culte de l’hyper vitesse, du thème de la transparence et de l’omniprésence, la communication des pouvoirs publics a été maladroite et continue de l’être . Sur la base de cette petite musique qui associe vérité et vitesse, ce qui est un non sens, nos politiques ont oublié que communiquer c’est de la diplomatie et de la négociation. Communiquer, c’est prendre son temps. En étant omniprésents sur les antennes, et quand les caméras n’étaient pas disponibles sur leur compte twitter, Abdoulaye Diouf Sarr  comme Aly Ngouille Ndiaye et le Chef de l’état ont fait l’erreur de croire que plus on donne d’infos, plus on délivre la vérité. On n’a jamais été autant « informé », mais, chacun le constate, on n’a jamais connu autant de doutes, de rumeurs et d’infox. Plus que rassurer, l’omniprésence des politiques a généré sans doute plus d’angoisse qu’autre chose.

Pourtant, il leur aurait suffit de mettre en avant le personnel soignant et les relais religieux, communautaires, sportifs pour obtenir un meilleur résultat. Mais, ils ont pensé que se mettre devant les écrans pouvait permettre de rassurer les Sénégalais alors que leurs propos passent pour de l’acide citrique car, ils ont plus affolé que sensibiliser.

Cette comédie de présentation de la situation quotidienne du Covid19, le défilé des ministres sur les plateaux de télévision, ont davantage donné l’impression que ceux-là vendaient leurs images aux Sénégalais en investissant pour l’après Coronavirus. Cette omniprésence a pourtant été disséquée par plusieurs communicateurs dans les médias ?

Oui, notamment sur les chaînes d’info en continu. Mais le rythme de l’action politique, économique et scientifique ne peut jamais tenir la cadence telle que fixée par les impératifs de diffusion en continu. L’info ne peut être un spectacle qui se renouvelle toutes les demi heures.

« Alors bien sur je suis pour l’élargissement de l’espace public aux scientifiques, aux universitaires, experts, etc. Mais il faut savoir distinguer ce qui relève de la science, de la médecine et de la technologie de ce qui relève de cet art très difficile qu’est la politique. L’invasion jamais égalée ces deux derniers mois de commentateurs et/ou d’experts sur les plateaux de télévision, ayant tous et toujours un avis sur tout, contribue à délégitimer l’action politique et de fait la nature de l’information », renseigne Pape Sané.
Attention, les conseillers ne sont jamais les payeurs. Aujourd’hui, une seule phrase peut passer à la moulinette d’une multitude d’experts…  Poursuivant, Pape Sané déclare « Et souvent je me demande pourquoi, si ces derniers sont à ce point persuadés d’avoir raison, n’embrassent-t-ils pas la carrière politique ? Dans nos démocraties trop spectaculaire, il faut sans cesse rappeler l’extrême difficulté de l’action politique et arrêter de juger définitivement tous les deux jours.

Ouf , finalement le Coronavirus a fini par faire comprendre que le journalisme traditionnel n’est donc pas un archaïsme

Au contraire. C’est un bien rare ! Ceux qui font ce métier doivent s’en persuader. Ceux qui consomment leurs infos en ont désormais une conscience, accentuée par ces deux derniers mois de confinement. Il est pourtant beaucoup plus dur d’être journaliste aujourd’hui qu’il y a 50 ans. A cause de cette petite musique des réseaux sociaux pourvoyeur d’une surabondance d’information. Mais j’espère qu’avec ce que nous avons traversé, le citoyen – ici et ailleurs, n’oublions pas qu’il s’agit d’une crise planétaire – va en avoir assez d’être à ce point inondé d’informations avec un petit i. C’est au moment où explose l’information dans toutes ses dimensions y compris les plus discutables que l’on retrouve la grandeur et la nécessité du journalisme : c’est à dire l’enquête et l’investigation.

Même si paradoxalement , l’abondance serait donc une source d’angoisse ?
Car il faut le reconnaître, Oui, et au Sénégal, nous avons eu un phénomène supplémentaire, c’est l’extrême dramatisation de l’information. Le président Mac Sall en utilisant le mot « guerre » et les semaines suivantes encore, les différents ministres et ouailles du pouvoir en quête de reconnaissance. Comment peut-on dire que « plus rien ne sera jamais comme avant ! ». Comment peut-on à ce point oblitérer l’avenir des plus jeunes en les confinant ainsi mentalement ! D’autant que le propre de l’histoire et de la politique est de créer l’espoir.

Quoiqu’il en soit, la métaphore de la guerre en terme de communication était sans doute une erreur.  Car aujourd’hui, force est de reconnaître que ni l’Allemagne, ni l’Espagne, ni l’Italie,  ni d’ailleurs la plupart des pays touchés par ce virus n’y ont succombé. C’est en effet une arme à double tranchant : ceux qui ont filé cette métaphore, l’ont fait dans un souci martelé de transparence. Tout le monde sait aujourd’hui que la transparence, ça n’existe pas. Qui est totalement transparent dans la vie ? Personne et heureusement. Ainsi, dans une posture d’omniprésence, nos gouvernants en jouant la carte de la transparence se sont exposés à ce que de petits mensonges deviennent des affaires d’état. Communiquer ce n’est pas s’exprimer, c’est établir un dialogue. C’est donc prendre le temps. On ne demande pas aux pouvoirs publics de communiquer, mais d’agir et d’avoir confiance en lui.

Cette hyper communication politique n’était elle pas une forme de contre poison à la propagation de fake news ?

Comme toutes choses, les fake news connaissent un phénomène d’usure. Cette crise va sans doute encore l’accentuer. Le retour de légitimité des médias traditionnels, vers lequel on se tourne pour savoir et comprendre avant de se faire une opinion, est une excellente nouvelle. Les fake news ont toujours existé. La 1er guerre du Golfe en fut le terreau. C’était le tout premier événement de l’histoire immédiate diffusé en continu grâce à la couverture satellite. Et il n’y a jamais eu autant de rumeurs.

Aujourd’hui, cette crise sanitaire était un danger susceptible de surgir au coin de la rue. Quand on a été enfermé chez soi tout en étant connecté au monde – ce qui est un réel paradoxe -, chacun a eu le temps de faire le tri entre ce qui explique notre angoisse et ce qui ne contribue qu’à la nourrir.
Il faut au plus vite sortir de tous les confinements et retrouver l’espoir et les plaisirs de la vie.

 (Atlanticactu.com)

 

 

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