Au Mali, l’influent imam Mahmoud Dicko – rejoint par une kyrielle d’organisations politiques – réclame la démission du Président IBK: le leader religieux pointe du doigt son «échec» sur tous les plans. La gigantesque marche prévue par ces opposants le 5 juin pourrait toutefois plonger le pays dans une nouvelle crise politico-institutionnelle.
La colère gronde, au Mali. Face à une gouvernance de plus en plus décriée, certains leaders d’opinion, suivis par de nombreux partisans, n’ont qu’un seul mot à la bouche: la démission du Président de la République, Ibrahim Boubakar Keïta (IBK).
L’imam Mahmoud Dicko est de ceux-là. L’ancien président du Haut conseil islamique du Mali (HCI) demeure toujours aussi populaire. Il continue de donner du fil à retordre au gouvernement, comme au temps où il était encore à la tête de la principale organisation islamique du pays (2008-2019).
Mais la Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS), la structure qu’il dirige, n’est pas la seule à vouloir faire partir IBK. Elle est rejointe par deux plateformes politiques: Le Mouvement Espoir Mali Koura (EMK), du Cheick Oumar Sissoko, et le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) de l’ancien ministre Choguel Kokalla Maïga.
Le 30 mai, ces leaders politiques ont prononcé une déclaration liminaire qui aborde la démission du Président avec un ton plutôt offensif. Ils y dressent le constat alarmant de «l’évolution dramatique du pays au plan socio-économique, sécuritaire et politique».
«De l’existence même du Mali en danger, aux difficultés de l’école, l’état de l’Armée, des libertés ainsi que de la gouvernance globale de l’État, notre pays apparaît totalement à l’abandon. Face à cette situation, la voie est ouverte à l’unité d’action des forces patriotiques», poursuit la déclaration.
Pour ces responsables politiques, il s’agit: «de créer les conditions d’une grande mobilisation pour le sursaut national face à la gouvernance chaotique et prédatrice, au risque de partition du pays, à la confiscation du vote des citoyens…».
Le leader du MPR, Choguel Kokalla Maïga se veut ferme: «Au regard de l’échec de ce régime, nous exigeons la démission du Président. Et c’est pourquoi [nous appelons à, nldr] un rassemblement des forces vives de la nation afin de créer les conditions d’une union sacrée autour de l’idéal d’un Mali uni, prospère et respecté, à travers la rupture avec le système actuel».
«Nous n’allons pas dévoiler notre stratégie», renchérit l’homme politique, par ailleurs allié inconditionnel de Moussa Traoré, ancien Président de la République.
L’impasse électorale signalée à l’issue des derniers scrutins présidentiels et législatifs au Mali est l’un des mobiles de cette levée de boucliers. En effet, l’imam et ses alliés dénoncent avec véhémence la tenue d’élections «injustes», «opaques» et «inéquitables», qui enlèveraient toute crédibilité au processus électoral.
Un appel à la mobilisation pris très au sérieux
Selon plusieurs proches de Mahmoud Dicko, le leader religieux s’est promis de diriger la prière de vendredi sur le boulevard de l’Indépendance. Chose qui n’a jamais été faite auparavant et qui annonce peut-être un vendredi sombre pour le pays. Et pour cause, l’influence du prêcheur qui a dirigé le HCI pendant plus d’une dizaine d’années n’est plus à démontrer. Il y a à peine un an, il avait réclamé et obtenu le départ du chef de gouvernement, Soumeylou Bonbeye Maïga. Son appel à la mobilisation est donc pris très au sérieux et devrait être massivement suivi par des milliers de partisans déterminés à en découdre, cette fois-ci avec la gouvernance d’IBK.
Selon l’imam et de ses partisans, la révolte s’explique aussi par le fait que la concertation politique et sociale n’a jamais pu prospérer. Les initiatives de dialogue nouées autour de Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition, ont toutes échoué du fait, selon Choguel Maïga, «de la mauvaise foi du Président de la République». C’est ce que semblent dénoncer les initiateurs de la marche du vendredi 5 juin.
Selon le politologue Sériba Togola, joint par Sputnik, «ça fait sept ans que ça dure. Le dialogue social sur les vraies préoccupations n’a jamais été franc. Le jeu obscur et trouble du Président de la République y est pour beaucoup.»
Les prémices d’un chaos politico-institutionnel
Même si les observateurs ne parient pas sur une démission du Président, abstraction faite du degré de mobilisation, certains n’écartent pas totalement l’hypothèse, notamment parmi les opposants:
«C’est le peuple souverain qui va décider. Dans toute démocratie, le peuple a la souveraineté dans la gestion des affaires publiques. Nous ne pouvons pas continuer avec le système politique économique et social qui nous régit aujourd’hui», souligne le Cheick Oumar Sissoko au micro de Sputnik.
Élu en 2013 au terme du long processus de sortie de la crise née du coup d’État militaire du 22 mars 2012, IBK avait réussi à revêtir l’étoffe de l’homme providentiel. Son score à la Présidentielle, 77% avec un taux de participation historique de 45%, était sans précédent.Mais face aux épreuves, une forme d’enlisement, sinon d’essoufflement a émaillé sa gouvernance, avec en toile de fond une très grande influence de sa famille sur les affaires publiques. Ce à quoi veulent mettre fin l’érudit et ses «fidèles»… partisans.
Face aux appels à la démission d’IBK, la Cour constitutionnelle, qualifiée par l’opposition de partisane, est sortie de sa réserve: «La Cour constitutionnelle condamne les agissements attentatoires à la cohésion sociale, s’insurge contre les velléités de remise en cause de la forme républicaine et la laïcité de l’État». L’Institution va plus loin en engageant le gouvernement à envisager des sanctions appropriées vis-à-vis des manifestants.
Par David Dembélé