Senegal : C’est une véritable chasse aux sorcières sous fonds de règlement de comptes qui se déroule actuellement au sein de la justice. Après avoir ouvert le feu contre les greffiers, le Garde des Sceaux Me Malick Sall se signale à nouveau dans la traque du président de l’Union des Magistrats du Sénégal. Pour avoir rappelé et donné son point de vue sur une décision de la Cour de Justice de la CEDEAO sur l’affaire Khalifa Ababacar Sall, une Cour communautaire dont les décisions s’imposent à l’Etat du Sénégal, Souleymane Téliko a été traduit en Conseil de discipline.
Plusieurs hauts magistrats ont à leur tour critiqué en interne la politique menée par Me Malick Sall. En traduisant le président de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums), Souleymane Téliko, devant le conseil de discipline après son audition à l’Inspection générale de l’administration de la justice (Igaj), le divorce semble consommé entre la magistrature et le Garde des Sceaux.
Dans « l’acte d’accusation », il lui est reproché d’avoir « jeté le discrédit sur la justice » en affirmant que les droits de Khalifa Sall ont été violés lors de son procès. Un développement qui va faire sans doute monter la tension entre la chancellerie et l’Ums qui a déjà saisi l’Union internationale des magistrats (Uim).
La tension monte d’un cran entre les magistrats et Me Malick Sall. Depuis plusieurs jours, des magistrats dénoncent la politique menée par le ministre de la Justice, dont l’ouverture contestée d’une enquête visant le Juge Souleymane Teliko. Dans plusieurs cercles de ce troisième pouvoir, si l’obligation de réserve est de mise, nombreux sont ceux qui sont prêts à monter au créneau non pas pour défendre le président de l’UMS mais plutôt l’indépendance de la justice,
« Les magistrats sont aujourd’hui légitimement inquiets de la situation inédite dans laquelle l’institution se trouve depuis que le Garde des Sceaux (…) a saisi l’Inspection générale de la justice d’une enquête administrative contre le magistrat Souleymane Teliko pour avoir donné son avis sur une affaire déjà jugée et classée », s’est interrogé un Juge au Tribunal de Grande Instance de Dakar. Pour ce dernier, très affecté par la tournure des choses, « Faudrait-il que ce pays touche le fond pour que les sénégalais et le monde s’en inquiètent ?»
« Le juge Souleymane Tellico a porté, plus que tous ses prédécesseurs, le combat pour une justice indépendante, garante de l’Etat de droit, de la démocratie et des droits et libertés du citoyen sénégalais. Ses prises de position courageuses dérangent au plus haut point les partisans du statu quo. La cabale médiatique en cours vise à le discréditer aux yeux de l’opinion publique et à légitimer l’action de ceux qui voudraient le réduire au silence », souligne Seydi Gassama d’Amnesty International.
Les magistrats en appellent à Macky Sall pour l’arrêt de ce qui ressemble à une intimidation du ministre de la justice
Le torchon brûle entre le ministre de la Justice et les magistrats depuis que le premier a demandé une enquête sur le Président de l’UMS, mis en cause pour avoir dit le contenu de l’Arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO sur l’affaire Khalifa Sall. Pourtant, « des magistrats ont fait pire, ont été cité dans des scandales et même dans des affaires de corruption et pour autant le Garde des Sceaux n’a essayé d’aller plus loin que les vœux d’intention.
« Nous ne pouvons que regretter l’atteinte portée au principe de la séparation des pouvoirs en République », s’indigne Mamadou Gueye, un magistrat à la retraite.
Pour un proche du ministre, membre actif de l’UMS, « Que ceux qui critiquent continuent de critiquer. Que ceux qui chroniquent continuent de chroniquer. Nous travaillons, c’est tout ce que j’ai à dire », a réagi ce dernier. « Ce que tel ou tel peut écrire dans tel ou tel journal ou site, dans telle ou telle chronique ou sur tel ou tel plateau de télévision, ça n’intéresse pas le ministre », a-t-il insisté.
« Aujourd’hui, c’est le tour de Souleymane Teliko, qui sera le prochain sur la liste? Non, nous devons faire cesser cette mascarade »
Il y’a quelques semaines , plusieurs magistrats s’étaient soulevés contre la gestion de la grève des greffiers par Me Malick Sall. Certaines récentes promotions lors du dernier Conseil Supérieur de la Magistrature et la rétention de l’enveloppe présidentielle de 40 milliards, n’ont également pas été digéré.
Dernier épisode en date de cette guerre ouverte : les magistrats de plusieurs tribunaux ont décidé d’appeler Macky Sall à « agir » pour faire respecter « l’indépendance du pouvoir judiciaire ».
Cheikh Saadbou Diarra