vendredi, 22 novembre 2024 09:36

Tragédie de Nador : « Le Maroc nous a tués et nous a laissés mourir », se plaignent les rescapés

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@Atlanticactu.com -Confinés au Centre de séjour temporaire pour migrants (CETI) de la ville de Melilla, plusieurs migrants rescapés de la sanglante répression critiquent la brutalité de la gendarmerie marocaine. Mieux, ces « candidats à une vie meilleure »  nient être dirigés par une quelconque mafia, comme le prétend le gouvernement espagnol. « Si nous sommes sortis en masse vers les barrières de Melilla, c’est parce que les gendarmes marocains  nous attaquaient dans les montagnes depuis deux jours .»
« Pour échapper à nos tortionnaires, nous avons décidé de sauter la clôture », disent-ils. Quand les autorités marocaines parlent de 37 morts, c’est piétiner encore plus notre dignité, ce qui s’est passé à Nador est un génocide, soutient un compatriote évacué à l’hôpital d’Oujda.
Le récit du gouvernement sur la tragédie de la clôture n’a rien à voir avec celui des survivants eux-mêmes. Ni dans le fond ni dans la forme. On parle depuis une salle de presse du Palacio de la Moncloa pour qu’on puisse l’entendre dans toutes les maisons et aussi dans les bureaux de Bruxelles. « Agression organisée et violente », « bien résolue ». Les migrants qui ont réussi à sauter la clôture ne peuvent le faire que par une ouverture de seulement deux centimètres entre les panneaux en plastique opaque qui les isolent dans le CETI de Melilla, que seuls 133 ont réussi à atteindre.Les autorités disent qu’ils sont en quarantaine pour coronavirus, bien qu’il n’y ait plus de réglementation sanitaire qui protège cet enfermement de ceux qui venaient d’éviter la mort.
Pour Bouba Diemé (nom d’emprunt) blessé lors de la charge des gendarmes marocains,  » Toutes les nationalités subsahariennes faisaient partie de cette vague qui avait pris d’assaut les grilles de Melilla, sauf que les Soudanais et Tchadiens étaient les plus nombreux, selon des sources proches des migrants. » Des propos confirmés auprès du site d’information Publico.es par un Soudanais qui a réussi à passer entre les mailles du grillage.  « Les Marocains ont non seulement tué les nôtres, ils les ont aussi laissés mourir. C’est comme si c’était la vengeance de quelque chose que nous ne savons pas », dit Nasreddin Kenu.
Pour entendre ce que ce jeune homme a à dire, il faut coller son oreille à une fente ou au creux d’une serrure. Vous devez faire un clin d’œil pour pouvoir voir à peine la moitié du corps et vérifier que l’homme qui nous parle est en fauteuil roulant. « Mes pieds sont brûlés, je ne peux pas tenir bon », explique-t-il. Lors de l’assaut de la clôture de Melilla vendredi dernier, il a reçu plusieurs coups de balles de caoutchouc, mais il n’est pas précis sur le comment des brûlures qui lui ont été faites, « ce doit provenir de gaz lacrymogènes ou d’autres grenades qu’on nous lançait », dit-il dans le dialecte arabe parlé au Soudan.
 » On a subi pendant plus de 72 heures une véritable chasse à l’homme dans où les gendarmes nous ont traqué comme des fauves. C’est là-bas où il ya eu les premiers blessés et peut-être même des morts », confie Boubacar Diemé 
Localisé dans un hôpital d’Oujda grâce à une association de ressortissants sénégalais au Maroc, celui qui préfère taire son identité se confie à Atlanticactu au téléphone.  » Après 3 jours dans la forêt où les gendarmes marocains nous ont fait subir tous les sévices possibles, nous avions décidé quand les tchadiens et Soudanais plus nombreux,, ont proposé de se rapprocher des grilles pour dissuader les Forces de l’ordre de continuer les exactions commises sur nous ».
 »  Quand vous m’informez que certains disent que seulement 27 ou 37 migrants sont morts, j’ai encore plus plus mal. Moi, on m’a extirpé d’un lot de cadavres et parmi eux, j’en ai reconnu au moins 3 avec qui j’ai quitté le Sénégal il y a 3 ans exactement. Depuis vendredi, avec le tollé suscité par la violence de la répression policière marocaine, nous avons été acheminé nuitamment dans cet hôpital où des compatriotes m’ont retrouvé », a révélé Boubacar Diemé qui nous dira  que  » les gars du Consulat ou de l’ambassade ne sont pas venus à notre chevet.
Interrogé sur le nombre de morts, notre compatriote dira sans ambages,  » Les corps que j’ai vu entasser devant les ambulances, font plus de 100 morts car , au moment où nous attendions sous les coups des gendarmes marocains, les 11 ambulances ont fait au moins 5 rotations. Pour quelle destination ? Je n’en sais rien « , nous confié Boubacar Diemé.

Comme Boubacar Diemé actuellement dans un hôpital d’Oujda, Nasreddin Kenu qui est dans un CETI à Melilla, ne décolère plus face au silence complice des présidents africains. 
Sur son odyssée jusqu’à ce drame qui a coûté la vie à plusieurs de ses compagnons d’infortune,  Nasreddin Kenu explique son trajet jusqu’à Melilla.  Plus de 4 000 kilomètres qui lui ont pris quatre ans et quatre pays : le Tchad, la Libye, l’Algérie et le Maroc. « Mais dans aucun pays nous ne sommes en sécurité, nous nous sentons tous victimes. Nous avons échappé à la guerre, nous ressentons la même chose que n’importe qui d’autre », dit-il.
Mais toutes les guerres n’ont pas autant d’importance dans cette partie du monde. Ce ne sont pas des Ukrainiens, c’est évident. Nasrredin est parti de chez lui enfant, à l’âge de 15 ans, et est arrivé en Europe à l’âge de 19 ans. Depuis, tout est difficile. « Nous, les Soudanais, avons presque tous parcouru une grande partie du trajet à pied. Nous avons rarement de l’argent pour nous déplacer en voiture », explique le jeune homme. « Des mafias ? Les plus grandes mafias au Maroc, ce sont le gouvernement et la police. Dans les montagnes de Nador, personne ne peut payer une mafia. On s’organise pour sauter », rétorque-t- il .
Ce mercredi, en principe, ils pourront sortir de l’isolement, mais ce sont plus d’un millier de personnes qui sont encore au Maroc, sans le droit de demander la protection internationale à laquelle elles ont plus que probablement droit, influence le Jésuite Migrant Service, qui a la représentation légale de plusieurs d’entre eux. Ils ne seront pas non plus interrogés par le parquet dans le cadre de l’enquête d’office annoncée ce mercredi sur les 23 décès que le Maroc a officiellement reconnus.

65 migrants traités à Nador, près de 125 à Oujda distante de 140 kms et plusieurs dizaines éparpillés dans d’autres hôpitaux pour empêcher tout contact avec la presse.
Avec Nasreddin, Mohamed Luguga, un autre Soudanais de 20 ans, raconte l’angoisse qui l’envahit depuis quatre jours. « Nous sommes enfermés ici, isolés de tout et sans information. Nous ne savons pas qui est vivant, qui est mort, qui est blessé, qui est détenu au Maroc, qui a été transféré dans d’autres parties du pays. Je ne sais rien de nos amis », dit-il. .
Selon les informations officielles, qui ne sont pas exagérées, plus de 900 personnes ont été arrêtées vendredi et déplacées de force à des centaines de kilomètres de la frontière avec Melilla, un chiffre qui est passé à 1 300 ce mardi. 65 migrants ont été poursuivis pour différentes charges ; 35 d’entre eux seront jugés le 13 juillet par la cour d’appel de Nador pour des chefs d’inculpation tels que traite des êtres humains, séquestration d’un agent marocain pour l’utiliser comme otage, incendie de montagnes, violences et injures à l’encontre des forces de l’ordre.
Ils les qualifient d' »assaillants » alors que la diplomatie marocaine désigne l’Algérie comme l’instigatrice de cette dernière tentative de saut, même si la majorité, disent les migrants eux-mêmes, sont au Maroc depuis des mois en attendant leur opportunité de traverser. « Les gendarmes nous attaquaient depuis deux jours dans les montagnes de Nador, que pouvions-nous faire d’autre ? », se lamente Nasreddin.
PAPE SANÉ 

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