vendredi, 22 novembre 2024 22:17

Retrait du Tchad de la moitié de ses effectifs : La coalition du G5 Sahel en voie de dislocation ? (Analyse)

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Le retrait par le Tchad de la moitié de ses effectifs de la région du « Triangle frontalier », entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, constitue un échec de plus qui s’ajoute à la lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel, lutte conduite par la France concomitamment avec une recrudescence sécuritaire des plus graves, qui a fait des centaines de victimes au cours des semaines écoulées.

Sur les 1200 soldats déployés par le Tchad au mois de février dernier, au niveau du « Triangle frontalier » pour faire face aux groupes terroristes liés à Al-Qaïda et à Daech, ce sont 600 éléments qui ont été retirés par N’Djamena, le 21 août, au terme d’un accord avec les forces du G5 Sahel.

Le G5 Sahel comprends le Tchad, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et la Mauritanie. Cette alliance est conduite par la France, qui a mis fin à son opération militaire « Barkhane » dans la région, en date du 10 juin dernier, et adhéré à une Coalition internationale de lutte contre le terrorisme dans le cadre de l’opération européenne « Takuba ».

– Pressions de « Boko Haram »

Le retrait par l’armée tchadienne de la moitié de ses effectifs est intervenu, près de deux semaines après que ses troupes aient essuyé une violente attaque lancée par le groupe « Boko Haram » dans la région du Lac Tchad, ventre mou du pays.

L’attaque avait fait 26 morts, parmi les soldats tchadiens, et 14 blessés, tous au repos dans le périmètre du Lac Tchad, après avoir effectué une patrouille dans la région. Ils ont été pris au dépourvu par les groupes armés.

Le Lac Tchad est le plus grand lac dans la région du Sahel. Ce lac partagé par quatre pays (Niger, Nigéria, Cameroun, Tchad) est caractérisé par ses nombreuses îles, ses marécages ainsi que par ses rives boueuses et sa dense végétation, ce qui a aidé les groupes armés à se cacher et à se déployer dans certaines de ces îles, formées à cause des changements climatiques.

Cette attaque est la plus violente essuyée par l’armée tchadienne, depuis le mois de mars 2020, lorsque 98 soldats ont été tués par « Boko Haram » dans la province du Lac Tchad et ce, avant que Bamako n’annonce le mois dernier avoir complétement assaini la région de la présence des éléments du groupe, classé comme terroriste.

Cela signifie que « Boko Haram » a repris ses activités au Lac Tchad, 17 mois après avoir été expulsé de la région, ce qui constitue une grave menace sécuritaire dirigée contre N’Djamena.

Le retour de « Boko Haram » dans la région est simultané avec l’expulsion par l’armée tchadienne, au mois d’avril dernier, d’une violente attaque perpétrée par les rebelles du « Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad » (FACT), qui proviennent des frontières de la Libye (nord) et la mort du président Idriss Deby, lors des combats. Un Conseil militaire conduit par Deby fils s’est emparé du pouvoir.

La situation interne tendue, aux plans politique et sécuritaire, fait peser une pression sur N’Djamena pour retirer davantage ses troupes déployées à l’extérieur du pays, en particulier, dans le « Triangle frontalier » entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
Malgré cela, il est peu probable que le Conseil militaire tchadien retire l’ensemble de ses effectifs de la région du Sahel, et ce compte tenu de son besoin de l’appui financier et diplomatique, aussi bien français qu’international, pour se maintenir au pouvoir.

– Un échec militaire ou une nouvelle tactique ?

L’annonce par N’Djamena du retrait de la moitié de ses effectifs du « Triangle frontalier » est intervenue simultanément avec l’assassinat de 17 civils au moins, le même jour au Niger, et la mort précédemment de centaines de personnes au Mali et au Burkina Faso, durant le seul mois d’août.

Le fait que ces massacres aient été perpétrés dans la zone de déploiement des forces tchadiennes reflète l’échec de ces dernières dans la lutte contre les groupes armés qui appartiendraient aux groupes proches d’Al-Qaïda ou de l’organisation terroriste Daech, déployés au Sahara.

En effet, 1200 soldats tchadiens n’ont pas suffi pour assainir le « Triangle frontalier » au Sahel de la présence des groupes terroristes comme ils l’ont fait au Lac Tchad, au cours d’une seule semaine au mois d’avril 2020.

Les forces tchadiennes sont considérées comme étant les plus compétentes et les plus équipées parmi les armées du Sahel pour lutter contre les groupes terroristes au Sahara et dans le périmètre du Lac Tchad, qu’il s’agisse du Niger, du Mali, voire du Cameroun.
Toutefois, N’Djamena dispose d’une autre conception pour la lutte contre le terrorisme dans la région du « Triangle frontalier ». Selon le porte-parole du gouvernement tchadien Abderaman Koulamallah, le nombre des soldats déployés dans la région était en surplus.
« La situation sur le terrain implique une force mobile et plus dynamique, ce qui nous a amené à retirer certaines de nos unités lourdement armées », a-t-il ajouté.

Il s’agit d’un point de vue relativement logique dans la mesure où les groupes armés évoluent dans une vaste région désertique à bord de motocyclettes rapides et en utilisant des méthodes des « guerres des gangs » et en s’en prenant à des villages reculés et lointains, mais qui sont peuplés par la plus grande partie de la population dans la région. Tout cela implique une traque difficile en utilisant des chars lourds.

Ainsi, les unités lourdement armées stationnées dans les villes et les principales localités, sont inefficaces dans la lutte contre le terrorisme. Ce point a été pris en compte par la France en décidant de recourir aux unités spéciales européennes, dans le cadre de l’opération « Takuba », parallèlement aux hélicoptères et aux drones et aux renseignements fournis par les Etats-Unis d’Amérique.

En dépit de la conjugaison de l’ensemble de ces modalités techniques, les massacres contre les civils n’ont pas été stoppés. Pire encore, des forces locales et occidentales ont été impliquées à prendre des civils pour cible, en témoigne, l’accusation portée par les Nations Unies à la France d’être à l’origine du meurtre de civils, dans un raid aérien perpétré dans le centre du Mali, en date du 3 janvier dernier.

– Une Conférence de réconciliation en présence des rebelles

Dans une mesure « audacieuse », similaire à celle décidée par le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed Ali, au moment de son accession au pouvoir en 2018, Mahamat Idriss Deby, président du Conseil militaire tchadien, avait appelé, le 10 août dernier, à la participation des groupes politiques et militaires à un « Dialogue national inclusif » pour renforcer « l’unité nationale et la coexistence communes ».

Il est attendu que cette conférence tienne ses assises au mois de décembre prochain, avec la participation des groupes rebelles stationnés en Libye et au Soudan, y compris le FACT, accusé d’avoir assassiné le président Idriss Deby, le 20 avril dernier, au lendemain de la proclamation de sa victoire à la Présidentielle.

Deby fils compte sur cette conférence pour convaincre les rebelles de faire taire les armes et adhérer à la vie politique et pour élaborer les nouveaux contours d’une phase transitoire, avec la participation de l’opposition politique et armée, phase transitoire qui sera couronnée par la tenue d’élections présidentielle et législatives.

Ainsi, il n’est pas exclu que la décision prise, portant rappel de 600 soldats installés dans le « Triangle frontalier » ait pour but de renforcer la situation sécuritaire dans la capitale N’Djamena, en prévision de la tenue de cette Conférence décisive pour Deby et son régime.
Quelles que soient les causes qui auraient amené le Tchad à retirer la moitié de ses effectifs de la région du « Triangle frontalier », il n’en demeure pas moins que l’impact de cette décision ne semble pas avoir un grand impact sur la situation sécuritaire dans la région, dans la mesure où les massacres continuent à être perpétrés.

Toutefois, si nous prenons en considération ce changement tactique dans le cadre d’un paysage plus global dans la région et dans le monde, marqué par la décision de Paris de réduire la présence de ces effectifs dans la région du Sahel au nombre de 5100, et ce à partir de 2022, nous sommes face à une dislocation progressive de la coalition du G5 Sahel, face à la régression du rôle français dans la région et au retrait américain d’Afghanistan et d’Irak, après deux décennies de lutte contre le terrorisme.

Par Mustapha Dalaa

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