La Policière de l’ONU de l’année appelle les femmes à changer de perception à l’égard du métier de policière et à « aider les autres sœurs qui n’ont pas la chance d’avoir été à l’école, en accédant à ce métier si noble qu’est la police ». De Dakar, le 15 octobre 1985. Ce jour-là, Seynabou Diouf rejoint les rangs de la Police nationale sénégalaise pour y commencer une formation de gardien de la paix. Avec un jour de retard.
« Ils avaient ouvert les classes le 14 octobre, mais ils avaient oublié qu’il y avait une femme qui avait été reçue cette année-là… », explique Seynabou Diouf dans cet entretien à ONU Info.
« C’est le lendemain que quelqu’un les a appelés pour leur dire : ‘Il y a une femme qui a été recrutée et elle n’est pas encore là , se remémore-t-elle.
Jusqu’à ce jour de 1985, aucune femme n’avait été recrutée dans le corps des gardiens de la paix au Sénégal. « Ce corps a toujours été hermétiquement réservé aux hommes », se souvient celle qui a aujourd’hui atteint le grade de commandante au sein de la police nationale de son pays. A l’époque, ne pouvaient devenir gardiens de la paix au Sénégal que ceux qui avaient suivi une formation militaire.
« La formation pour devenir gardien de la paix était dure et les critères étaient élevés », se souvient-elle. « Une femme gardienne de la paix devait faire 1,75 mètre de haut et physiquement, c’était assez exigeant ».
A l’issue de sa formation de gardienne de la paix, Seynabou Diouf sort major de sa promotion.
Seynabou Diouf est issue d’une famille nombreuse : plus de 20 enfants. « Une famille de taille normale au Sénégal », précise-t-elle. Au milieu des années 1980, son père qui était fonctionnaire prenait le chemin de la retraite et elle était la seule à devoir subvenir aux besoins de sa grande famille.
A l’école, Seynabou Diouf était une bonne élève. Elle obtient son baccalauréat avec mention et se destinait à des études de médecine. « Je voulais d’abord devenir docteur », explique la Sénégalaise. Mais pour l’étudiante brillante, la situation économique de sa famille s’est imposée comme une priorité. « Il fallait que je fasse quelque chose pour soutenir mon père », se souvient-elle. La jeune femme a alors dû abandonner son rêve de devenir médecin et choisir une carrière lui permettant de gagner sans attendre un salaire afin de répondre rapidement aux besoins de sa famille.
Seynabou Diouf se renseigne alors sur les concours de la fonction publique sénégalaise et apprend que ceux de la police sont ouverts aux femmes. « Je me suis présentée à deux concours : celui des officiers et celui des gardiens de la paix et j’ai réussi au second ».
Opérations de paix : « Seriez-vous intéressée par une mission au Darfour ? »
En 2005, Seynabou Diouf est contactée par sa hiérarchie. « Seriez-vous intéressée pour rejoindre la Mission de l’Union africaine (UA) au Soudan ? », lui demandent ses supérieurs qui recherchent des profils de policiers sénégalais à soumettre à l’organisation panafricaine. « J’ai dit oui et j’ai préparé ma candidature ».
Cette année-là, 49 policiers sénégalais, dont Seynabou Diouf, partent au Soudan pour servir au sein d’AMIS – la Mission de l’Union africaine dans le pays. Seynabou Diouf y effectue une mission de 15 mois. En 2010, elle réussit un examen des Nations Unies pour exercer les fonctions de policier au sein des missions onusiennes.
La policière retourne alors au Soudan où elle est affectée au Darfour au sein de la MINUAD – la mission conjointe de l’UA et de l’ONU – de 2010 à 2013 puis est affectée au sein de la Mission des Nations Unies au Mali (MINUSMA). Depuis mars 2017, elle sert dans la Mission de l’ONU en République démocratique du Congo (MONUSCO).
Aide apportée aux femmes
Dans le cadre de ses missions dans les opérations de paix, Seynabou Diouf a pu focaliser son travail sur l’aide apportée aux femmes.
Au Darfour, avec deux collègues ghanéennes et une nigérienne, elle met en place un Forum des femmes. « Les Darfouriens sont par essence des gens qui ne s’ouvrent pas aux étrangers mais il fallait les aborder, parler aux hommes afin de pouvoir parler à leurs femmes », se souvient-elle.
« ‘De quoi allez-vous parler aux femmes ?’, nous demandaient-ils », se souvient-elle. « On leur parlera d’hygiène, d’envoyer les enfants à l’école », leur ont-elles répondu.
Le commissaire de police adjoint de la MINUAD a eu écho du travail mené par les quatre policières et a demandé à Seynabou Diouf et ses collègues d’étendre leur action de sensibilisation à toutes les femmes de la région.
Sur la base de son expérience au Soudan, Seynabou Diouf a mis en place au Mali un réseau des femmes qu’elle a brièvement présidé. En 2014, la MINUSMA comptait peu de femmes – « une vingtaine » – dans ses effectifs mais « les besoins étaient importants ». Au Mali, la policière sénégalaise encadre des cellules de lutte contre les violences, supervise la ligne de téléphone vert, un numéro de secours que la population pouvait appeler en cas de danger et surveille le travail des cellules de protection de l’enfance.
En RDC, Seynabou Diouf dirige actuellement un groupe de travail sur le genre. Dans son travail quotidien, elle s’appuie sur l’arsenal de textes officiels à sa disposition pour lutter contre l’exploitation et les abus sexuels, « c’est-à-dire les violences exercées par le personnel des Nations Unies sur la population locale que nous sommes censés servir », souligne-t-elle.
« Il y avait des résolutions en place, des bulletins des Secrétaires généraux des Nations Unies successifs, des mémorandums des Représentants spéciaux, des instructions du Conseiller de police et des directives du Commissaire de police déjà en place », explique la Commandante. « Mais il n’y avait pas de structures pour chapeauter tout cela ».
Le Commissaire de police de la MONUSCO décide alors de mettre en place une équipe pour traiter directement ces problèmes sur le terrain. « Avant de rejoindre la MONUSCO, 98 cas d’exploitation et d’abus sexuels avaient été recensés au sein de la mission onusienne en RDC », se souvient-elle.
« Nous avons pris le taureau par les cornes ». En RDC, Seynabou Diouf et son équipe mettent en place une adresse électronique auprès de laquelle les personnes peuvent dénoncer de tels abus en toute confidentialité ainsi que des comités de veille pour garder le contact avec la population et savoir si les agents de la police de l’ONU se comportent professionnellement.
Depuis le début de cette année, aucun cas d’exploitation et d’abus sexuels n’a été rapporté au sein de la MONUSCO.
Les activités de la police de l’ONU ne se limitent pas aux activités de maintien de l’ordre. Leurs agents participent également à des activités de sensibilisation du public. Dans le cadre de ses différentes missions, Seynabou Diouf et ses collègues policiers ont ainsi aidé des communautés à s’organiser en associations et leur ont fourni une aide concrète comme du matériel agricole et des semences, des machines à coudre et des kits d’apprentissage de la couture, ainsi que des formations et des financements pour la fabrication et la vente de savons.
Policiers hommes, policières femmes : « Nous sommes dans une même équipe »
Dans le cadre des quatre missions à laquelle elle a participé, Seynabou Diouf a toujours eu de bonnes relations avec ses collègues hommes.
Elle s’est sentie bien perçue par ses collègues de l’ONU « car ce ne sont pas des policiers que l’on a pris sur le tas. Ce sont des collègues qui ont été formés, et sont sensibles au respect du genre et de la diversité, qui sont professionnels », précise-t-elle. « Nous travaillons de concert, dans une bonne entente, dans une même équipe »