Malgré nos alternances politiques jugées historiques, la situation sociale au Sénégal reste inchangée depuis l’indépendance, la pauvreté et le chômage sont le quotidien des Sénégalais. Le baobab libéral fut déraciné et le Sénégal espérait emprunter une nouvelle voie, celle de l’émergence. L’homme qui a été choisi pour cette tâche est le président Sall, qui a cheminé avec le président libéral pendant presque deux décennies. Sera-t-il en mesure de relever le défi ou fera-t-il juste comme son père adoptif ? Le président Sall avait pourtant si bien commencé, mais qu’est-ce qui a pu le détourner en cours de route ?
L’atmosphère politique était très tendue, le président Wade s’est dédit et veut un troisième mandat. Jugé illégal par nos sérieux constitutionnalistes, le Conseil constitutionnel en décidera autrement et jugera que le président Wade peut se présenter. Il aurait pu sortir par la grande porte, mais il n’a pas voulu faire confiance en Dieu s’agissant du destin de son fils, il voulait s’en charger personnellement. Cela lui a valu un coup dur, lui qui était l’un des Sénégalais les plus aimés, était devenu l’homme à abattre par tous les moyens. Dieu, qui ne lui suffisait pas, a fait gagner au président Sall, même s’il s’agissait d’un mauvais héritage, car les caisses étaient vides à cause de la crise budgétaire que nous traversions due aux engagements extrabudgétaires massifs. Les dépassements budgétaires étaient devenus monnaie courante au sein de l’Etat. Les choses étaient tellement graves qu’on pouvait se demander si quelqu’un se souciait encore de notre cher pays.
Les banques souffraient, elles étaient à court d’argent liquide, car elles venaient à la rescousse des entreprises durant ces moments difficiles. Le gouvernement, qui n’était plus crédible, passait par les banques pour que ces dernières fassent des prêts au profit du gouvernement. Cette avidité financière nous a coûtés tous nos partenaires économiques. Les pays développés ont arrêté de nous octroyer de l’aide et demandait une réforme budgétaire comme condition pour que l’aide reprenne. En quelque sorte, n’importe qui pouvait faire mieux que le président Wade en matière de bonne gouvernance tellement la situation était critique.
Quand le président Sall est venu au pouvoir, il fallait juste contenir les dégâts causés par les libéraux, il ne pouvait absolument rien faire de positif, car tous les signaux étaient au rouge. Il fallait restaurer l’image du Sénégal. Il était dans l’obligation de maintenir le déficit budgétaire en dessous de 6 % et de l’améliorer d’année en année, ce qu’il a pu faire avec succès. Il fallait aussi assainir les dépenses publiques, en ne dépensant que sur les priorités et surtout en réduisant le train de vie de l’Etat. Il était aussi dans l’obligation de restructurer les infrastructures publiques comme la SENELEC et la Poste et s’attaquer aux problèmes de subvention de l’énergie. Une fois que les dégâts étaient contenus, il fallait alors mettre en place un programme de développement durable pour créer une croissance diversifiée et surtout inclusive, qui allait bénéficier à toutes les couches de la population.
Durant son accession au pouvoir, le budget a été exécuté de manière prudente et les promesses d’une gouvernance sobre et vertueuse étaient en cours d’être tenues. Il a diminué le nombre de ministres et a supprimé le Sénat tout en réduisant la représentation diplomatique. Il va aller plus loin et fermer beaucoup d’agences et fusionner d’autres, des efforts ont été déployés pour réduire le train de vie de l’Etat. Cela était nécessaire pour que le déficit soit contenu et le président Sall en était conscient et c’est ce qu’il a fait.
Malgré les efforts du président Wade dans le sens des infrastructures, le Sénégal affichait toujours un déficit et il était impératif de poursuivre cette lancée, mais cette fois-ci, il fallait des infrastructures nécessaires selon les règles de la transparence. Cela était obligatoire dans le but de faciliter les activités économiques et surtout de déconcentrer l’activité économique dans la région de Dakar. Comment financer ces projets demeurait le problème. Nous ne pouvions pas penser à financer ces projets avec notre budget, car il accuse déjà d’un déficit, on ne pouvait pas non plus faire recours aux prêts classiques, car cela augmenterait notre ratio d’endettement et créerait des problèmes de viabilité de la dette ; il ne restait qu’un mode de financement assez connu, les prêts non-concessionnels.
Après un an au pouvoir, les populations commençaient à s’impatienter, car la situation restait identique à l’ère libérale à l’exception de la traque des biens mal acquis. Plusieurs réformes n’ont pas pu voir le jour, car la situation était grave. L’Etat a demandé le soutien du FMI pour pouvoir faire appel aux marchés financiers internationaux. Le problème majeur de l’Etat a été la SENELEC qui a bénéficié de soutien financier à hauteur de 2,5 % de notre PIB en 2012.
Ces subventions compliquent l’assainissement budgétaire et empêchent l’Etat de dépenser de l’argent dans les dépenses prioritaires. Malgré un soutien tarifaire, un non-paiement d’impôts et des pertes en recettes fiscales, la SENELEC n’a pas su être profitable. Etant donné que ces subventions ne profitent qu’à une petite partie de la population, l’Etat s’est décidé de réduire ces subventions mal ciblées et de les remplacer par la Bourse de Sécurité familiale qui touchera 50 000 familles avant de s’étendre dans les années à venir. En 2013, la situation s’est dégradée et le déficit budgétaire s’est creusé. L’Etat était dans l’obligation d’émettre un eurobond de 500 millions de dollars à un taux de 6 % et une échéance de 10 ans et un sukuk de 100 milliards de FCFA, qui sont des titres à moyen terme négociables, acceptés par le droit islamique. Rien ne marchait et le président Sall ne voulait pas être souvenu comme étant le président des traques mal acquis et il décida alors de mettre en place le Plan Sénégal Émergent, qui a pour but de faire du Sénégal une nation émergente à l’horizon 2035.
Initié en 2014, le PSE a pour but de donner un nouveau souffle à l’économie sénégalaise et de booster la croissance pour réduire la pauvreté. Des études ont démontré qu’il y a une corrélation positive entre croissance et réduction de pauvreté même si ce n’est pas toujours une règle. L’investissement dans les projets d’infrastructures est un levier de politique économique qui a toujours su porter ses fruits sur la croissance dans plusieurs pays, pourquoi pas notre pays ? Il stimule l’activité économique et peut potentiellement augmenter la croissance. Au Sénégal, les routes sont étroites et en mauvais état et provoque des embouteillages aux heures de pointe alors que le réseau ferroviaire est archaïque. Tout est urgent, il n’y a pas assez d’hôpitaux ni assez de centres de santé. Des routes et des pistes sont nécessaires pour désenclaver certaines zones et acheminer des biens et personnes dans d’autres zones. Et tant d’autres problèmes, les uns plus urgents que les autres.
Le déficit budgétaire commençait à diminuer, il était de 4,9 % du PIB. En raison de la baisse du prix du pétrole, la subvention de l’énergie avait diminué de 40 % par rapport aux prévisions. L’argent économisé, pourrait permettre à l’Etat de dépenser dans des programmes de base. L’Etat a profité des cours bas du pétrole pour financer certaines dépenses en infrastructures liées au PSE. Il fallait rationaliser les dépenses de partout pour pouvoir aussi disposer de plus de ressources financières. Il y a eu des ponctions sur les factures téléphoniques, les logements de fonction, le gel des recrutements dans la fonction publique, sauf l’armée. Pour s’assurer que le PSE ne soit pas un échec, l’Etat était aussi dans l’obligation de faire une étude de faisabilité de tous les grands projets avant de les inscrire dans la loi de finances. Les projets financés sous forme de Partenariat Public Privé devront aussi être évalués par le gouvernement de manière sérieuse.
La mise en œuvre du PSE commençait à porter ses fruits, mais pour que le Sénégal devienne une nation émergente d’ici 2035, il faudrait que la croissance soit supérieure à 8 % sur 20 ans au moins. Il faut noter que dans le passé, le Sénégal a connu des épisodes de croissance, mais malheureusement, ils n’ont pas été durables, car il s’agissait principalement des dépenses du secteur public. Tant que le privé ne prend pas la relève, les épisodes de croissance ne réduiront jamais la pauvreté ni le chômage de manière durable.
Le déficit budgétaire continuait à diminuer à cause des reformes au sein de l’Etat. Cependant, pendant que le gouvernement assainissait à l’intérieur, il s’endettait massivement à l’extérieur pour la mise en place du PSE. Pour ne pas vivre la même chose que sous l’ère libérale, le gouvernement est encouragé à mettre en place des projets d’investissement bien choisis pour une rentabilité économique. En plus de cela, il fallait des reformes pour que la mise en place du PSE ne rencontre pas des difficultés majeures. Tout allait bien jusque-là, mais comme nous sommes en politique, il faut aussi œuvrer pour un second mandat. Un président, peut-il obtenir un second mandat en Afrique à cause des réformes économiques qui prendront du temps pour porter leur fruit ? Si le président Sall veut un second mandat, il est impératif qu’il arrête le bon travail et se lance à la recherche d’un bilan tangible, à court terme, qui ne développera jamais le Sénégal et créera des tensions budgétaires.
Changement de Cap
Tout est clair dans la tête du président Sall, il ne veut plus réduire son mandat mais en plus de cela, il veut un second mandat. Alors que le Sénégal était sur la voie de l’émergence, les conseillers du président Sall, lui ont dit que si jamais il continuait sur cette lancée, il allait perdre la majorité et les élections présidentielles et être le premier président à faire un mandat. Il était impératif de changer automatiquement de cap et de donner à l’électorat ce qu’il voulait. Il fallait faire l’état des lieux et se concentrer sur les projets qui permettront à la majorité de voir des travaux pour dire que le président est en train de travailler et qu’à terme, ces réalisations changeraient le quotidien des Sénégalais. Les dépenses somptuaires commençaient à voir le jour et nous ne nous focaliserons que sur deux d’entre elles. Nous les appelons somptuaires, car aucune étude de faisabilité correcte n’a été faite pour l’une et une obstination non justifiée pour l’autre.
3.68 milliards par kilomètre, le projet Ila Touba long de 113 kilomètres pour 416 milliards de FCFA, est un prêt concessionnel de 2 % sur 25 ans. Rappelons que le Memorandum of Understanding a été signé le 23 août 2012 qui permettra à China Road and Bridge Corporation (CRBC) de réaliser les études techniques, de rechercher le financement et de réaliser les travaux. La présentation de l’étude de faisabilité qui a eu lieu le 26 décembre 2012 est l’aspect qui pose un problème majeur. Nous savons tous que l’étude de faisabilité permet de vérifier que théoriquement un projet peut être fait par une entreprise avec les moyens dont elle dispose. En général, quand on parle de faisabilité, il s’agit de la faisabilité technologique, économique, commerciale, organisationnelle et juridique entre autres. Dans la faisabilité, on fait l’étude du retour sur investissement pour savoir si un projet en vaut la peine. Maintenant pour la réalisation d’une autoroute qui va nous coûter presque 460 milliards de FCFA avec les intérêts, ne pensez-vous pas que l’Etat du Sénégal devait faire l’étude de faisabilité pour savoir si cette autoroute en valait le coup au lieu qu’une entreprise étrangère le fasse ? Il faudra repayer ce prêt pendant 25 ans et il se peut que cette autoroute soit utile dans le futur, mais dans l’étude de faisabilité, on étudie aussi le timing du projet pour savoir si c’est mieux de le faire maintenant ou plus tard selon les besoins en place.
Ce Train Express Régional (TER) que les membres du gouvernement disent continuellement qu’il est souvent critiqué, mais qu’il sera emprunté par ceux qui le critiquent. Je tiens juste à rappeler que le débat doit être plus intellectuel que cela, et qu’après tout, ce sont les Sénégalais qui paieront pour ce train trop cher et qu’ils ont le droit de l’utiliser qu’ils soient d’accord ou non avec le projet. Dois-je juste rappeler que quand le Sénégal est allé à la Banque mondiale pour le financement du TER, la Banque a clairement dit que le projet n’était pas rentable, même s’ils peuvent avoir tort. Ce qui est gauche est que la Banque mondiale avait proposé de mettre en place le système Bus Rapid Transit (BRT) et de rénover la ligne ferroviaire, Dakar-Bamako. Le gouvernement avait refusé et est allé chercher le financement du TER auprès d’autres partenaires financiers. Ainsi, l’Etat du Sénégal avait mis 125,7 milliards de FCFA comme fonds propres sur la table, la BID 197 milliards de FCFA, l’AFD 125,3 milliards de FCFA, la BAD 120 milliards de FCFA pour un total de 568 milliards de FCFA de Dakar à Diamniadio. À cela il faut ajouter 127 milliards de FCFA de Diamniadio à AIBD pour un total de 695 milliards de FCFA hors intérêt. Et d’autres projets électoralistes ont aussi vu le jour pour un président qui avait si bien commencé. Pendant ce temps, en mars 2018, l’état du Sénégal était dans l’obligation d’émettre des eurobonds pour un financement budgétaire, c’était la deuxième année consécutive que le Sénégal émettait des eurobonds alors que nous nous endettions inutilement. En 2017, le Sénégal a émis des eurobonds pour un montant de 1,2 milliards de FCFA et 2,2 milliards de FCFA en 2018.
Les projets de prestige commençaient à remplacer le travail sérieux des deux premières années du président Sall. Il fallait se faire réélire et comme l’électorat cherche un bilan tangible à court terme, il fallait s’y lancer. Le président Sall qui avait si bien commencé a été mal conseillé à des fins électoralistes et nous en paierons les pots cassés durant son second mandat jusqu’à ce que la rente pétrolière commence à voir le jour. Depuis 2012, on parle d’assainissement des finances publiques, de reformes, et en 2019, on parle toujours de la même chose. Le président a été détourné de ses objectifs encore durant l’élection présidentielle et il a voulu satisfaire tout le monde et apaiser la tension sociale. Les bourses des étudiants ont été revues à la hausse au lieu de régler la crise universitaire de manière objective, les salaires ont été augmentées pendant que les recettes ont diminué. Cela conjugué aux grands travaux a créé une tension budgétaire et le retard de paiement du secteur privé.
C’est ainsi aussi que dans le contexte pré-électoral de 2019, les cours du pétrole avaient augmenté, de presque 5 % entre décembre 2018 et janvier 2019 et de 8 % entre janvier 2019 et février 2019, le président Sall, avait catégoriquement refusé d’augmenter les prix pour ne pas fâcher l’électorat. L’électricité et l’essence n’ont pas connu de hausse de prix depuis 2017 malgré la hausse des prix du pétrole. Quand il y a une augmentation régulière du prix du baril du pétrole, il faut impérativement conjuguer cela avec une augmentation des prix de l’énergie. À défaut, cela se traduira par une mobilisation insatisfaisante des recettes dérivées du pétrole et cela accroîtra les subventions énergétiques. Le second mandat acquis, le président Sall a finalement décidé d’afficher les prix réels pour une viabilité budgétaire.
Maintenant, la seconde phase du PSE qui a déjà démarré, doit être une phase dont la croissance est supérieure à 8 %, et la réorientation de l’activité économique vers le secteur industriel. Paradoxalement, le Sénégal est un cas limite de surendettement, car il a même dû faire recours aux eurobonds pour pouvoir boucler les fins d’année. Le secteur privé national n’est pas en mesure de s’imposer et les investissements directs étrangers sont toujours relativement faibles. Comment est-ce que le Sénégal avec cette dette colossale qui s’augmente pourra parvenir à atteindre une croissance supérieure à 8 % pour devenir une nation émergente à l’horizon 2035 ?
Il faut que le Sénégal maintienne la cadence d’ici la production des hydrocarbures pour pouvoir éviter un défaut de paiement. Si l’Etat continue dans cette lancée d’endettement, nous allons vers le défaut de paiement qui est synonyme de faillite. Ayons la tête sur les épaules et ne commençons aucun autre grand projet avant de savoir si la dette sera viable avec plusieurs paiements qui seront dus d’ici deux ans. Tout grand projet pourra être reporté jusqu’à ce que la rente pétrolière commence à voir le jour pour éviter des dépassements budgétaires.
Mohamed Dia