« C’est là le tort des esprits faibles : ils ne reconnaissent la vérité que dans la bouche de certains hommes au lieu de reconnaître les hommes lorsqu’ils disent la vérité » Imam Ali Cité par Imam Ghazali (De la délivrance de l’erreur)
Cette affaire Sweet beauté risque de finir comme le comportement d’un trou noir dans l’espace : puissant, très attractif, insaisissable, inobservable et mystérieux. La technique du tourbillonnement ou de la spirale du mensonge consiste à saturer une affaire par une infinité d’affaires plus rocambolesques les unes que les autres (voir liens). Ce qui est recherché par ce sinistre procédé psychologique, c’est de disperser l’attention des citoyens, de transformer le peuple en masse inconsciente, de rendre impossibles la concentration et la circonspection. La démocratie est un exercice difficile. La démagogie et l’ignorance en sont les principaux ennemis.
Un démagogue agit sur les pulsions de la masse, il manipule les sentiments comme il le fait avec les institutions. Il fait de la misère un outil politique ; des passions un levier de sa marche macabre vers la conquête ou la conservation du pouvoir. Un démagogue se comporte comme un prestidigitateur : c’est en amusant son public qu’il sort subrepticement un pigeon de sa poche alors qu’il tenait un mouchoir dans la main. Un démagogue ou populiste peut être défini comme un charognard ou un parasite de l’opinion. Il squatte les peurs, les attentes, les passions et les désirs les plus inquiétants du peuple pour les proposer comme système de pensées ou comme réponse à apporter aux angoisses de son peuple.
L’ignorance est l’antichambre de la sagesse : elle peut mener à celle-ci, mais elle peut aussi se comporter comme un virus informatique, une porte dérobée (backdoor) pour bloquer et lasser l’aspirant à la sagesse. Quand l’ignorance essaime la société et devient bruyante, elle transforme la démocratie en une foire aux passions. Les plus fous répandent alors leur folie, et en font la norme de la société. Oh quel gâchis ! Voilà pourquoi l’unanimisme est le plus grand danger pour une démocratie. Il faut toujours garder quelques œufs dans un panier de secours, selon une certaine sagesse africaine. Un très bel adage, car les poissons seraient plus difficiles à pécher s’ils n’avaient pas la manie de suivre le banc.
Il faut que l’opinion publique sénégalaise s’emploie à être plus exigeante : beaucoup d’affaires graves ont fini dans la « nuit noire » de notre mémoire politique. La conscience collective se comporte parfois comme la conscience individuelle : elle est tournée vers l’action. Plus son intérêt est attiré par un événement, davantage elle a tendance à se détourner d’autres. C’est ainsi qu’un conducteur qui regarde les gracieuses créatures dans la rue perd fatalement le contrôle de son véhicule : par une attention expansive, il est inattentif. En s’intéressant à la rue adjacente, il se désintéresse de sa direction. Les publicitaires, les communicants et les « storytellers » (narrateurs d’histoire, hagiographes-conteurs) exploitent cette disposition psychologique que Bergson appelle « intérêt » pour manipuler le peuple.
Dans cette affaire Sweet-beauté on a réussi à amalgamer (rûbe) beaucoup de choses qui finiront par produire ce qu’on appelle un déplacement de la problématique. Or la simple bonne foi suffit à séparer les épisodes pour faire éclater la vérité dans l’intérêt de la démocratie. Les séquences sont nombreuses et parfois tellement contiguës qu’on a l’impression qu’il y a des gens qui ne veulent pas qu’on y voie clair.
Si Adji Sarr a menti, elle et ses acolytes doivent payer chèrement. Car à cause de leur imposture criminelle, le pays a été bloqué, des pertes en vie humaine ont été enregistrées, l’économie paralysée. Si elle a sciemment amalgamé des vérités et des mensonges aussi, elle doit être punie très sévèrement, car on ne peut se payer le luxe d’ameuter tout un peuple pour faire d’une affaire de mafia (car visiblement des intérêts politiques sont venus se greffer à une histoire de massage) une affaire de la république.
En revanche s’il y a un seul atome de vérité dans ses allégations, si minime soit-il, le peuple doit le savoir, car c’est une affaire privée devenue une affaire publique et qui nous a coûté trop cher. La grandeur de Sonko ne saurait, dans ce cas de figure, être un obstacle à l’éclatement de la vérité. Ce serait là également un grand service rendu à la démocratie, une pédagogie, ça édifiera tout le monde sur une évidence : Sonko est un être humain. Comprendre cela ne nous empêchera pas de l’élire s’il le mérite ; en revanche ça nous empêchera d’en faire un surhomme ; une déification qui aura pour conséquence une énorme désillusion s’il est élu. Bref, nous tenons par cette affaire une chance inouïe de réconcilier la politique à une certaine éthique n’en déplaise aux machiavéliens.
En attendant, la seule vérité qui éclate dans cette affaire, c’est que Macky Sall n’a ni le niveau ni le profil moral pour gouverner un peuple comme le nôtre. Sa gestion de cette crise est catastrophique et ça risque de s’empirer.
Alassane K KITANE.