Alors que les grandes puissances usent notamment de la force militaire pour s’imposer sur l’échiquier mondial, la Chine fait plutôt dans la dentelle … Devenant le plus grand créancier du monde, la Chine met généreusement la main à la poche et domine, inévitablement, avec ses prêts les marchés notamment dans le continent africain.
Quelles sont les répercussions économiques, et éventuellement politiques, de cette manne chinoise ? Cette « générosité » est-elle une opportunité pour le continent africain ou au contraire un cheval de Troie ?
Pour répondre à ces questions, l’Agence Anadolu a sondé des experts du Cameroun, du Burkina Faso, et de la Centrafrique.
Retour en force au Burkina Faso
A l’instar de plusieurs pays du continent africain, le Burkina Faso qui avait rompu ses relations diplomatiques avec la Chine pendant 24 ans, les a rétablis en 2018, trois jours après la rupture entre le pays ouest-africain et Taïwan, avec dans le panier plusieurs grands projets.
Depuis cette date, les exportations du Burkina Faso vers la République Populaire de Chine ont connu une croissance, passant de 5 milliards de francs CFA ( 9 064 315 de dollars) en 2017 à 7 milliards de francs CFA ( 12 690 041 dollars) en 2018 et 8 milliards de francs CFA (14 502 904 dollars) en 2019, confirmant ainsi les bonnes relations d’affaires à travers le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, indique le ministère burkinabè du commerce dans un rapport.
La Chine intervient dans plusieurs domaines au Burkina Faso, notamment dans l’agriculture, l’éducation, la santé et la sécurité.
Faisant le bilan de la coopération entre les deux pays en septembre 2020, l’ambassadeur chinois au Burkina Faso, Li Jian, a souligné qu’en 2018 dans le cadre de la convention cadre, son pays avait alloué 100 milliards de francs FCFA (181 286 300 dollars) au Burkina Faso.
En juillet 2021, la Chine a financé le projet « SMART Burkina », d’un coût global de 52 milliards de FCFA (93 812 680,00 USD) sous forme de prêt, consistant à installer plus de 800 km de fibre optique au niveau national et d’installer des outils de surveillance dans les grandes villes du Burkina Faso pour lutter contre l’insécurité et la criminalité.
La durée du remboursement de ce prêt est de 20 ans avec un différé de cinq ans.
Analysant les interventions chinoises en Afrique en général et au Burkina Faso en particulier, Dr Poussi Sawadogo, diplomate, enseignant-chercheur à l’Université Libre du Burkina (ULB) et conseiller en formation à l’Institut d’accompagnement des carrières diplomatiques et internationales (IACDI), estime que « la dette chinoise en Afrique est à la fois une opportunité et un danger pour l’Afrique tout comme les dettes des pays occidentaux et des institutions internationales ».
« Bien gérée, elle permettra aux pays du continent africain de se développer. Minée par la mal gouvernance, elle privera l’Afrique de son potentiel de développement. Qu’elle vienne de la Chine, de la France ou des États-Unis, la dette est un outil de domination », a-t-il expliqué dans une interview accordée à l’Agence Anadolu à Ouagadougou.
« Le salut de l’Afrique n’est pas dans la dette mais dans sa capacité à exploiter ses ressources et à les échanger au prix juste », a préconisé Dr Poussi.
Il souligne que grâce à cette politique, la Chine tente d’opérer « un changement de maître ». « La Chine à la place des Occidentaux ou du moins la Chine aux côtés des Occidentaux. Une dépendance politico-économique en alternance… », explique-t-il.
Le spécialiste des relations internationales a d’ailleurs rappelé que le renouement du Burkina Faso avec la République populaire de la Chine était justifié par « une pression chinoise et par la peur d’un isolement dans la sous-région ouest-africaine » même si cela pourrait permettre des investissements lourds comme les infrastructures routières et ferroviaires et de grands barrages en Afrique de l’Ouest.
« La décision a été réaliste en s’alignant sur les tendances du moment. La Chine est la seconde puissance économique du monde et cela est important pour un pays qui vit de l’aide internationale comme le Burkina Faso. Le retour vers Pékin est à la fois opportun et opportuniste », a-t-il conclu.
Des investissements colossaux
Pour sa part, le politologue centrafricain Michel Ndalacko revient sur les investissements colossaux entrepris par la Chine dans le Continent africain, y voyant « une réponse cruciale aux pays africains ayant des difficultés à lever des capitaux sur les marchés ou à satisfaire les bailleurs traditionnels ».
« En plus de ces nouveaux prêts chinois, la Chine a aussi promis à l’Afrique qu’elle annulerait une partie de la dette des pays les moins développés. Des dettes contractées depuis une vingtaine d’années et qui s’élèvent à 132 milliards de dollars. Les nouveaux prêts chinois aux pays africains qui s’élèvent à 60 milliards de dollars vont dans les huit projets qu’avait proposé Xi Jinping à l’Afrique : l’autosuffisance alimentaire d’ici 2030, l’interconnexion des infrastructures, l’augmentation des importations africaines en Chine. Si tout cela est réalisé, le PIB réel de l’Afrique va augmenter et lui permettra de pouvoir rembourser ses prêts. Ces capitaux, essentiellement injectés par Eximbank of China, ont permis l’éclosion de projets structurants en Afrique : lignes ferroviaires Mombasa-Nairobi et Djibouti - Addis-Abeba, ligne ferroviaire Abuja-Kaduna, barrage de Soubré, en Côte d’Ivoire, barrage de Mekine au Cameroun. En effet, les investissements chinois apportent une réponse cruciale aux pays africains ayant des difficultés à lever des capitaux sur les marchés ou à satisfaire les bailleurs traditionnels », a souligné le politologue dans une déclaration à l’Agence Anadolu.
Et d’ajouter : « En outre, les offres chinoises proposent des packages incluant financement, construction et exploitation des projets à des conditions souvent avantageuses (certains prêts courent sur quarante ans, avec une période de grâce de dix ans) ».
« Un piège »
L’universitaire camerounais Luc Sindjoun, professeur de sciences politiques à l’université de Yaoundé, estime, quant à lui, qu’il y a un piège de l’endettement chinois en Afrique. D’après ce professeur, les prêts chinois suscitent des inquiétudes. Il estime que la dette chinoise pèse lourdement sur certains pays comme l’Ethiopie, la Zambie, la RCA ou le Cameroun, les obligeant à restructurer une partie des créances détenues par la Chine.
« C’est d’abord une volonté de la Chine de renforcer ses bases sur le continent africain. C’est destiné à permettre aux entreprises chinoises d’avoir à s’occuper des travailleurs chinois et d’avoir la possibilité de s’installer sur le continent africain. Et donc à l’arrivée, ces sommes mirifiques qui sont annoncées par la Chine finissent par retourner à Pékin et pas dans les comptes des États africains », prévient Sindjoun dans une déclaration à AA.
« Les prêts accordés par la Chine aux pays africains au cours de la dernière décennie sont adossés aux ressources telles que le pétrole, le gaz et les mines. Une grande partie des prêts ne sont pas transparents sur les conditions et les garanties. Les emprunteurs, les prêteurs, les institutions financières internationales (IFI) et les acteurs de la société civile gagneraient à convenir de règles de prudence et de redevabilité, en faisant la lumière sur les coûts et les avantages pour le pays emprunteur. Si l’influence chinoise reste forte et positive aux yeux des citoyens africains, elle l’est dans une moindre mesure qu’il y a cinq ans. Cette baisse de popularité pourrait également être liée à la perception autour des prêts et de l’aide financière, au manque de transparence, aux discours autour du « piège de la dette » et aux allégations de mainmise sur les ressources africaines par la Chine. », poursuit l’universitaire camerounais.
La Covid-19, une opportunité de plus
Les relations sino-africaines ont également évolué, Pékin mettant les bouchées doubles, au fil de la pandémie du coronavirus. Depuis le début de la pandémie, la Chine a saisi l’occasion pour renforcer son assise diplomatique en envoyant des missions médicales dans plusieurs pays d’Afrique.
Ces missions ont fait plusieurs dons d’une grande quantité de matériel médical et d’équipements qui ont été d’un apport très important pour ces pays dont les systèmes de santé ont été éprouvés par la pandémie, selon les observateurs qui estiment que cette approche est une aubaine pour la Chine pour faire découvrir ses vaccins anti-Covid à l’Afrique. La Chine s’active à mettre en avant Sinopharm, son vaccin « officiel », fabriqué par la société d’Etat du même nom, mais également Sinovac, fabriqué par Sinovac Biotech, une société basée à Pékin.
Dans un communiqué publié mercredi 08 septembre, l’ambassade de Chine au Burkina Faso a déclaré que dans le cadre de la coopération bilatérale, un don de 400 mille doses de vaccin anti-Covid-19 Sinopharm sera bientôt livré au Burkina Faso. Et ce n’est qu’un exemple, le dernier en date, sur « la générosité » chinoise quand il s’agit de propulser ses vaccins sur le devant de la scène. L’Égypte, le Maroc, la Guinée Équatoriale, le Zimbabwe, le Sénégal ou encore les Seychelles, et bien d’autres pays ont reçu le précieux vaccin chinois. Après avoir reçu les doses offertes par Pékin, plusieurs pays se sont engagés à acheter des millions de doses. Une aubaine pour la Chine.
En août 2021, durant la première réunion du Forum international sur la coopération en matière de vaccins contre la Covid-19, le Président chinois Xi Jinping a annoncé que tout au long de cette année, la Chine s’efforcerait de fournir 2 milliards de doses de vaccins contre la Covid-19 au monde et offrirait 100 millions de dollars US au système COVAX.
Il faut dire que depuis décembre 2020, tout en récusant le terme de « diplomatie du vaccin », la Chine fournit ses vaccins à une bonne partie de la planète, notamment au continent africain.
Si Pékin dit vouloir simplement faire de ses vaccins « un bien public mondial », comme le laissent entendre les autorités, il est clair que l’empire du Milieu ouvre une brèche de plus pour asseoir sa puissance mondiale.
« Il fallait s’y attendre, décrypte auprès du Parisien Thierry Vircoulon, chercheur associé au centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Ça fait partie de la stratégie chinoise de soft power ».
AA / Peter Kum / Dramane Traoré