Le Covid-19 au delà de l’inquiétude suscité au niveau mondial risque d’être un effet déclencheur de la prochaine donne géopolitique. Si partout les gouvernements sont concentrés sur les moyens de mettre fin à cette pandémie, en France on étudie déjà l’après Coronavirus. Le Quai d’Orsay s’interroge sur l’impact terrible que pourra avoir la crise du Covid-19 en Afrique. Le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie évoque un possible effondrement des Etats en place et cherche d’ores et déjà des interlocuteurs fiables et légitimes. Au Sénégal par exemple, une note d’analyse s’intéresse à Ousmane Sonko de Pastef comme alternative probable.
Ousmane Sonko ainsi que plusieurs leaders ouest et centre africains sont dans le viseurs des « laboratoires » français. En effet, dans une note du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS), titrée « L’effet pangolin : la tempête qui vient en Afrique ? », que Atlanticactu a consultée, le Quai d’Orsay estime que la crise du Covid-19 pourrait être en Afrique « la crise de trop, qui pourrait déstabiliser durablement, voire qui mettre à bas des régimes fragiles (Afrique de l’Ouest ) ou en bout de course (Afrique centrale) ». En tout cas, la crise du Covid-19 sera probablement le révélateur des limites de capacité des dirigeants actuels de ces Etats, incapables de protéger leur population. En Afrique, elle va également amplifier les facteurs de crise des sociétés et des Etats. Un nombre élevé de morts, le décès d’une personnalité ou, enfin, la comparaison entre Etat fragiles (Afrique de l’Ouest et Afrique centrale) et supposés solides (Rwanda, Sénégal) Ce qui pourrait déclencher une contestation.
Au Sénégal m le cas Ousmane Sonko fait l’objet d’un traitement spécifique depuis la présidentielle de 2019 où l’ex Inspecteur des Impôts est arrivé 3ème. Récemment, son discours qui ne cesse d’emballer et de convaincre toutes les couches de la société sénégalaise et même africaine, commence à être studieusement étudié par Paris qui pense que le député serait un interlocuteur crédible pour l’après Coronavirus qui est perçu comme un déluge. La crise du Covid-19 va révéler de nouveaux rapports de force politique pour le contrôle de l’Etat, pendant et après la crise. « Anticiper le discrédit des autorités politiques signifie accompagner en urgence l’émergence d’autres formes d’autorités africaines crédibles pour s’adresser aux peuples afin d’affronter les responsabilités de la crise politique qui va naître du choc provoqué par le Covid-19 en Afrique », fait valoir le CAPS. Pour l’heure, l’Afrique était mercredi encore peu touchée par le virus avec 200 décès (5.778 cas). Mais l’ouragan est en approche.
Reçu au Palais par Macky Sall au nom de l’unité nationale, Ousmane Sonko change de fusil d’épaule avec le vote sournois de la Loi d’habilitation. Une posture qui dans la situation actuelle peut lui coûter cher comme le positionner comme le principal opposant au régime
Cette note du CAPS prévoit un coup fatal à certains régimes africains qui risquent gros avec l’imposition de mesures impopulaires et contraignantes. Pour le Sénégal et la Côte d’Ivoire par exemple, la note met en avant le sentiment « anti français » de plus en plus prégnant au niveau de la jeunesse.
C’est pourquoi, « Face au discrédit des élites politiques, il convient de trouver d’autres interlocuteurs africains pour affronter cette crise aux conséquences politiques », affirme ce groupe de réflexion du ministère des Affaires étrangères, chargé de mener des missions d’analyse de l’environnement international. D’autant que le risque d’infection d’un dirigeant ou d’une personnalité de premier plan âgée et déjà malade pourrait avoir de lourdes conséquences et obligerait la France « à se positionner clairement et rapidement sur la fin d’un système et sur une transition ». Pour le CAPS, il est clair que l’onde de choc à venir du Covid-19 dans certains pays pourrait être « le coup de trop porté aux appareils d’Etat ». Pourquoi ? Parce que le taux de médicalisation est quasi-nul et les systèmes de santé nationaux peuvent être considérés comme saturés d’office, estime-t-il sans compter la corruption qui va sévir encore alors que les populations éprouvent d’énormes difficultés pour éviter la pandémie.
Le drame se précipitera avec la corruption qui va ôter les dernières illusions d’une population désemparée par la capacité du virus et « l’impréparation » de la plupart des Etats africains qui vont faire « massivement la preuve de leur incapacité à protéger ses populations. Cette crise pourrait être le dernier étage du procès populaire contre l’Etat, qui n’avait déjà pas su répondre aux crises économiques, politiques et sociales », souligne le Quai d’Orsay.
Selon le CAPS, en Afrique de l’Ouest notamment au Sénégal, au Mali et en Côte d’Ivoire par exemple , les mesures de confinement pourtant déconseillées saperont l’équilibre fragile de l’informel, économie de survie quotidienne essentielle au maintien du contrat social. En Afrique centrale, « le choc pourrait précipiter la crise finale de la rente pétrolière au Cameroun, au Gabon et au Congo-Brazzaville (effondrement d’un prix du baril déjà en crise avec la demandé, aggravé par un ralentissement de la production, et risque d’accélération de la réflexion d’opérateurs pétroliers – Total au premier chef – de quitter ces pays), là aussi au cœur des équilibres sociaux », précise le Quai d’Orsay. Dans les deux cas, cela pourrait constituer le facteur économique déclencheur des processus de transition politique.
Des populations abandonnées mais manipulées et l’enrichissement par détournement d’objectifs des fonds prévus pour faire face à la pandémie, composent le cocktail explosif qui risque d’être fatal pour les dirigeants actuels et la reconnaissance populaire de facto pour des leaders comme Ousmane Sonko.
Certains pays africains (Sénégal, Mali, Guinée, Côte d’Ivoire, etc …) devront faire face sans appel à ce qu’appelle le CAPS, un « virus politique ». Il part du principe que les villes seront l’épicentre des crises et que très rapidement, la question du ravitaillement des quartiers se posera pour l’eau, la nourriture et l’électricité. « Des phénomènes de panique urbaine pourraient apparaître : elles sont le terreau sur lequel se construisent les manipulations des émotions populaires. Cette recette fait le lit d’entreprises politiques populistes comme en 2011/2012 au Sénégal », explique le CAPS. Ce sont les classes moyennes en cours de déclassement qui seront les premières fragilisées, car leur quotidien risque de s’effondrer, précise-t-il.
Paris doit choisir dès à présent ses interlocuteurs mais lesquels ? Résultat, la question de la sélection ne portera pas sur les personnes à sauver sur le plan médical (faute de capacités d’accueil), mais « sur les besoins de premières nécessités » : quel quartier ravitailler ? Quelles autorités locales crédibles peuvent être les relais d’organisation de la distribution ? Quels produits de première nécessité fournir dans une phase attendue de pénurie ?
La principale crainte de la note du Quai d’Orsay reste sans nul la capacité des réseaux sociaux. Car, le poids de ces réseaux sociaux va considérablement peser, a fortiori avec le confinement qui va couper littéralement les sociétés des institutions publiques. Faute de parole publique crédible, « les thèses complotistes commencent déjà à fleurir et s’ajoutent aux simples fausses informations pour participer d’une perte de contrôle des opinions publiques. A cela s’ajoutent les dynamiques de rumeurs populaires, lesquelles sont tout autant susceptibles d’être instrumentalisées pour orienter des violences collectives », avertit le Quai d’Orsay.
Quels interlocuteurs pour la France, un choix cornélien quand on sait que cette jeune pousse de leaders fonde sa popularité et sa légitimité sur tout ce qui est anti français ?
Pour la France, dans ce chaos, il s’agit de trouver des interlocuteurs à la fois fiables et légitimes pour compenser la possible faillite des Etats. « L’immanquable détournement de biens publics (à commencer par des masques, gants, Thermoflash) et de l’aide sanitaire internationale à venir (déjà dénoncée sous le terme « Covid-business ») peut facilement cristalliser l’ultime perte de crédit des dirigeants », justifie ainsi le CAPS. A ce stade, quatre catégories d’acteurs ont la capacité de mobiliser des foules. Ils doivent « donc d’ores et déjà constituer des interlocuteurs pour nos efforts de gestion de la crise en Afrique », estime le Quai d’Orsay.
Quels sont ces interlocuteurs ? Les premiers sont les leaders politiques dont le discours cadre avec l’aspiration des jeunes et les autorités religieuses très écoutées pour le moment. Si des institutions ont accepté d’accompagner les premières consignes (Eglise catholique, certaines confréries musulmanes), d’autres, qui ont fondé leur succès sur la canalisation politique des émotions populaires, pourraient vouloir défier l’ordre public pour imposer le leur dans ce moment de faiblesse de l’Etat. Les deuxièmes sont les Activistes et les diasporas, qui peuvent avoir un devoir d’information civique. Les troisièmes sont les artistes populaires : « ils restent – à quelques exceptions près – des autorités morales crédibles et façonnent les opinions publiques », assure le CAPS.
Les quatrièmes peuvent être des entrepreneurs économiques et des businessmen néo-libéraux que Paris devrait déjà commencer à accompagner financièrement. « Ils peuvent jouer un rôle s’ils décident d’engager leurs moyens ou de se poser en intermédiaires entre le système de gouvernance mondiale et l’Afrique, mais dans tous les cas, ils souligneront la faillite de l’Etat », note le Quai d’Orsay. Enfin, face à l’incapacité de l’Etat à protéger ses populations et face aux possibles ambitions opportunistes de certains, il convient, selon le CAPS, de « soutenir des paroles publiques d’experts africains scientifiques et spécialistes de la santé » dont la liste est tenue secrète au Quai d’Orsay. Il existe une communauté scientifique médicale africaine qui peut être mobilisée et soutenue.
Atlanticactu.com