Trois policiers ont été condamnés vendredi au Kenya à des peines allant de 24 ans de prison à la peine de mort, après avoir été reconnus coupable en juillet d’un triple meurtre avec tortures en 2016, dont celui d’un avocat, qui avait provoqué l’indignation dans le pays.
L’avocat Willie Kimani, son client Josephat Mwenda et leur chauffeur de taxi Joseph Muiruri avaient disparu le 23 juin 2016 après une audience dans un tribunal de la banlieue de Nairobi. Leurs corps mutilés avaient été retrouvés une semaine plus tard dans la rivière Ol Donyo Sabuk, au sud-est de la capitale.
« Le tribunal a considéré ce meurtre comme des plus répugnants, avec une planification et une exécution méticuleuses », a déclaré vendredi devant le tribunal de Nairobi la juge Jessie Lesiit.
Les assassinats des trois hommes, précédés de torture, avaient suscité une vive émotion dans le pays et conduit le barreau kényan à décréter une grève des prétoires d’une semaine.
Pour stopper ces pratiques courantes, les juges ont prononcé des sanctions allant jusqu’à la peine de mort
Le client du jeune avocat, un chauffeur de mototaxi, accusait la police de l’avoir harcelé et intimidé afin qu’il abandonne une plainte contre un haut responsable des forces de l’ordre qui, disait-il, lui avait tiré dessus sans raison en avril 2015.
Les poignets de Me Kimani avaient été attachés, trois de ses doigts coupés et ses yeux énucléés, selon la presse kényane.
Fredrick Leliman, policier, a été condamné à la peine de mort. « Le premier accusé étant un policier engagé pour protéger des vies a agi en abus flagrant de sa fonction », a déclaré la juge Lesiit. Stephen Cheburet et Sylvia Wanjiku, tous deux également policiers, ont été condamnés respectivement à 30 et 24 ans de prison. Une quatrième personne, Peter Ngugi, qui avait aidé les policiers à se débarrasser des corps, a été condamné à 20 ans de prison.
« Nous sommes heureux et Kimani peut enfin reposer en paix. En cours de route, nous avions perdu espoir d’obtenir justice », a déclaré à la presse la veuve de l’avocat Hannah Kimani, retenant ses larmes à l’issue du verdict.
En juillet, la juge Jessie Lessit avait déclaré que « sur la base des preuves présentées, il n’y a pas d’autre conclusion raisonnable que leur culpabilité ». Les quatre condamnés ont annoncé qu’ils allaient faire appel du jugement.
Exécutions extrajudiciaires, les ONG tirent sur la sonnette d’alarme
Bien que la peine de mort soit inscrite dans la loi kényane, la dernière exécution capitale dans ce pays d’Afrique de l’Est remonte à 1987. Ces dernières années, les peines de mort ont été commuées par les présidents.
Plusieurs organisations de défense des droits humains, dont Missing Voices, qui milite pour dénoncer des exécutions extrajudiciaires au Kenya, ont affirmé que cette décision « a montré que l’on peut faire confiance au système (judiciaire, Ndlr) pour rendre justice aux victimes des violences policières », avant de poursuivre: « Malheureusement, nous avons continué d’assister à davantage de meurtres par la police ».
La police kényane est régulièrement accusée d’exécutions extrajudiciaires par les organisations de défense des droits de l’Homme kényanes et internationales.
Le président kényan William Ruto, élu en août, a annoncé le 16 octobre le démantèlement de la redoutée Unité des services spéciaux (SSU), unité de police créée il y a 20 ans et sous le feu des critiques après des cas de disparitions forcées et de meurtres. Le chef de l’Etat a également promis une refonte de la police.
« Nous pouvons efficacement réprimer les crimes, surveiller, perturber et appréhender les criminels sans enlever, torturer, tuer ou faire disparaître des citoyens », avait déclaré M. Ruto.
Le 24 octobre, quatre policiers, membres de la SSU, ont été inculpés pour la disparition de trois hommes, dont les corps n’ont jamais été retrouvés.
Des escadrons de la mort au sein des forces de police
Fin octobre, des policiers ont été poursuivis pour « crimes contre l’humanité », dont le meurtre d’un bébé, dans les violences post-électorales de 2017. Selon la Commission nationale des droits de l’Homme, 94 personnes avaient été tuées, 201 victimes de violences sexuelles et plus de 300 blessées. Les violences ont été attribuées principalement aux forces de l’ordre.
La police kényane a été accusée par le passé d’avoir dirigé des escouades de tueurs à gages ciblant des personnes enquêtant sur des violations présumées des droits de l’Homme par les services de sécurité, y compris des avocats.
Selon l’organisation Missing Voices, 1 264 personnes sont mortes entre les mains des forces de l’ordre depuis qu’elle a commencé à collecter des données en 2007. Peu d’enquêtes menées à la suite de ces disparitions ont donné lieu à des condamnations.