Des changements dramatiques traversent actuellement l’organisation de Boko Haram dans le nord-est du Nigeria après la mort de son leader, Abubakar Shekau, au mois de mai dernier, dans une attaque lancée par Daech en Afrique de l’Ouest (EIPAO) et la capitulation de milliers d’éléments de Boko Haram qui se sont rendus à l’armée nigériane au cours des derniers mois. Ces développements accélérés soulèvent des interrogations sur l’avenir de Boko Haram quant à un probable effondrement ou si cette organisation s’emploiera à chercher de nouvelles zones d’activité en dehors de ses fiefs traditionnels dans le nord-est du Nigeria pour éviter d’être piégée entre le marteau de Daech et l’enclume de l’armée gouvernementale.
– Déséquilibre L’attaque lancée par EIPAO contre le fief de Boko Haram dans la forêt de Sambisa, dans l’Etat de Borno (nord-est,) au mois de mai dernier a constitué un point de changement fondamental dans la nature du conflit entre les deux organisations, particulièrement après que Abubakar Shekau s’est fait exploser, pour ne pas tomber en otage aux mains de Daech selon des médias. La mort de Shekau, principal dirigeant de Boko Haram depuis 2009, a constitué un profond choc pour l’organisation qui contrôlait de vastes parties de l’Etat de Borno et du bassin du Lac Tchad que le Nigeria partage avec trois autres pays, le Cameroun, le Niger et le Tchad. Toutefois, Daech a choisi Abou Mosab al-Barnaoui, bras droit de Shekau, pour diriger l’EIPAO, chose que ce dernier a refusé, provoquant des dissensions au sein de Boko Haram. Shekau s’était établi dans la forêt de Sambisa dans le sud de Borno tandis que al-Barnaoui et des éléments de Daech s’étaient déployés dans la région du Lac Tchad, dont des parties étaient toujours contrôlées par Boko Haram. Le conflit s’est embrasé entre les deux groupes terroristes depuis 2016, lorsque Boko Haram était parvenu à prendre le contrôle de la majorité des villages et localités situés sur les rives du Lac Tchad, du côté du Nigeria, jusqu’à 2019, toujours selon des médias locaux. Cette configuration a été, cependant, déséquilibrée lorsqu’au mois de mai 2021, Shekau s’était donné la mort et que des éléments de Daech avaient envahi des fiefs de Boko Haram à Sambisa, ce qui a provoqué la capitulation de milliers d’éléments de Boko Haram, dont des dirigeants, qui se sont rendus à l’armée du Nigeria, afin d’éviter d’être les otages de Daech. Il n’est pas exclu que des éléments de Daech en Libye, dont l’émirat s’est effondré dans la ville de Syrte (nord-centre) au mois de décembre 2016, aient décidé de traverser le Sahara pour fuir la Libye jusqu’à arriver au nord-est du Nigeria. Selon l’Institut africain des Etudes Sécuritaires, des éléments de Daech et de l’EIPAO préfèrent emprunter le chemin reliant la Libye au Nigeria à travers l’Algérie, le Mali et le Niger, au lieu d’un passage direct et plus proche (Libye, Niger, Nigeria). Cet élément est l’une des causes qui expliquent la perte par Boko Haram de son combat contre l’EIPAO, tout particulièrement après le parachèvement des liaisons entre les sections de Daech en Libye, au Mali, au Niger et au Nigeria. De plus, les opérations militaires et les raids aériens lancés par l’armée nigériane, au cours des trois dernières années, ont contribué grandement à affaiblir Boko Haram qui a perdu plusieurs zones qu’il contrôlait auparavant dans l’Etat de Borno, frontalier avec le Cameroun, le Tchad et le Niger. Par ailleurs, l’alliance militaire des cinq pays du Lac Tchad (Nigeria, Niger, Tchad, Cameroun, Bénin) a joué un rôle de premier plan dans la coordination des attaques contre Boko Haram et Abuja a autorisé à l’armée tchadienne de traquer les éléments armés sur son territoire, selon le chercheur français Marc-Antoine Pérouse de Montclos. Au début du mois d’octobre courant, l’armée nigériane avait annoncé l’élimination de 87 éléments de Boko Haram dans une opération militaire menée à Borno. Le 14 du même mois, le ministère nigérian de la Défense avait annoncé que plus de 13 mille éléments de Boko Haram se sont rendus aux autorités, au cours des deux semaines précédentes. A l’orée du mois de septembre écoulé, les autorités nigérianes avaient également annoncé la capitulation de près de 6000 éléments de Boko Haram au cours des semaines précédentes. Cette capitulation reflète la profonde hémorragie dans les rangs de Boko Haram, au même moment où l’EIPAO s’est employé à les cibler dans des attaques éparses.
– Redéploiement Convaincus d’avoir perdu la bataille contre l’EIPAO à Borno, les nouveaux dirigeants de Boko Haram se sont employés à identifier une stratégie nouvelle pour éviter la disparition et l’effondrement de leur organisation. Cette décision s’est traduite, selon des observations sur le terrain, par un redéploiement dans des zones lointaines de leurs fiefs traditionnels, dans le nord-est du Nigeria. Les éléments de Boko Haram ont parcouru des centaines de kilomètres en direction de trois Etats stratégiques pour restructurer l’organisation. Le premier de ces Etats est Kaduna (nord-est) qui est situé sur la route reliant la capitale Abuja à la ville de Kano, capitale de la partie nord du pays, à majorité musulmane, et à travers laquelle devrait passer l’oléoduc Ajaokuta–Kaduna–Kano (AKK) qui constitue une partie de l’oléoduc qui achemine le gaz et le pétrole vers l’Europe en passant par le Niger et l’Algérie. Citant l’agence France-Presse (AFP), le site « Voice of Africa » (VOA) a indiqué que 250 éléments de Boko Haram ont parcouru des centaines de kilomètres pour adhérer à une bande criminelle armée dans les forêts de Rijana à Kaduna. Ces bandes criminelles qui disposent de liens avec Boko Haram ont kidnappé près de 1400 élèves et étudiants dans des attaques lancées contre des écoles et des universités au cours de l’année 2021, selon l’organisation UNICEF. Le deuxième Etat et celui de Sokoto, situé dans la zone du nord-ouest frontalière avec le Niger, où prolifèrent des groupes armés criminels qui pratiquent le kidnapping à outrance depuis 2017. Sokoto représente un des choix qui s’offrent à Boko Haram pour en faire son nouveau fief dès lors que ce groupe disposait déjà de quelques bastions dans cet Etat et de liens avec ses bandes criminelles. Toutefois, cet Etat est le théâtre d’une activité des éléments de l’EIPAO et d’une organisation locale loyale à Al-Qaïda, baptisée « Ansaru », selon un Centre d’études stratégiques. Sokoto est le plus proche Etat du Nigeria de la zone des trois frontières déjà embrasée (Niger, Mali, Burkina Faso) et dans laquelle évoluent plusieurs groupes qui ont prêté allégeance à Al-Qaïda ainsi que la section de Daech au Grand Sahara. Il n’est pas exclu que ces organisations renforceront leurs activités dans le nord-ouest du Nigeria, compte tenu de la facilité de s’y infiltrer à travers les longues et ouvertes frontières avec le Niger. La troisième option qui est offerte aux nouveaux dirigeants de Boko Haram est l’Etat du Niger situé dans le centre-ouest du pays et qui revêt une importance stratégique compte tenu de la courte distance qui le sépare de la capitale (340 Km), ce qui placerait à l’avenir Abuja même sous la menace terroriste et fera du Bénin voisin une cible privilégiée des terroristes. A titre d’exemple, les éléments de Boko Haram contrôlent huit localités sur un total de 25 dans la zone de Shiroro de l’Etat du Niger, selon l’agence de presse Reuters qui cite le Chef du gouvernement local de la région.
De même, le contrôle par l’EIPAO de la majorité du nord-est, qui était auparavant soumis à l’autorité de Boko Haram, poussera les éléments armés de ce groupe déployés dans la zone à se redéployer dans le nord-ouest ainsi que dans le centre et l’ouest du pays, ce qui laissera la majorité des Etats de la moitié nord du pays, à majorité musulmane, sous la menace terroriste qui pourrait atteindre la capitale Abuja.