« Ils sont nombreux ces chefs d’état africains élus qui ont essayé de substituer le suffrage des populations à leurs désirs de règne sans partage et de présidence à vie. Ceux-là sont les mêmes qui subissent le diktat des firmes privées d’espionnage pour ne pas dire des succursales de certains services de renseignement des pays où l’opinion publique est une réalité. Cette affaire PEGASUS indique un processus de rupture structurelle dans la maîtrise des technologies de l’interception et dans le contrôle des exportations de ces technologies. Partout où allait Nétanyahou, NSO suivait, titre le quotidien israélien Ha’Aretz dans un long article consacré à l’habitude qu’avait l’ancien Premier ministre israélien de promouvoir auprès de gouvernements étrangers, souvent “autoritaires ou dictatoriaux” ».
Depuis la fin de la guerre froide, les capitales ou plutôt les palais africains sont régulièrement inondés d’offres allant dans le domaine de la sécurité physique, au renseignement en passant par la fourniture de gadgets conçus pour les écoutes et interceptions des communications. La plupart de ces offres proviennent de sociétés créées par des anciens de la DGSE française, du MI6 britannique, du Shin Bet ou du Mossad israélien, de la CIA américaine entre autres centrales de renseignement.
Ces Séniors de l’ombre qui ne peuvent opérer dans leur pays du fait des risques d’atteinte aux libertés publiques du fait des actes, missions qu’ils contractent, sont envoyés sous nos cieux avec des lettres de recommandation des ministères de La Défense ou de l’Intérieur et de plus en plus souvent, par des chefs d’état en exercice. Ces séniors sont souvent à la tête de structures de sécurité privée pour ne pas dire des sociétés de mercenaires ou dans le renseignement économique et davantage politique. Ces hommes ne se donnent aucune limite une fois hors de contrôle de leur société civile et de leur opinion publique.
Sous-traitance. Pour autant, l’affaire Pegasus indique un processus de rupture structurelle dans la maîtrise des technologies de l’interception et dans le contrôle des exportations de ces technologies. Depuis les révélations Snowden (lui-même consultant privé pour la NSA), on a pu constater l’importance de la sous-traitance des opérations de sécurité à des opérateurs plus ou moins privés. Il en est ainsi depuis toujours avec les armées privées, les mercenaires d’antan étant avantageusement remplacés par des forces supplétives comme Executive Outcome du temps de l’ancienne Afrique du Sud ou KMS pour le Royaume-Uni, Beni Tal pou Israël, plus récemment Blackwater (devenu Academi) pour les États-Unis, Wagner pour la Russie, HXZXA pour la Chine, Amarante pour la France.
« Les logiciels NSO, nés dans les boutiques de l’unité 8200 de l’armée israélienne, sont loin d’être les seuls disponibles sur les marches commerciaux. Pegasus, le coup de pouce israélien aux autocrates ouest-africains et arabes. Maroc, Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo, Mali, Mauritanie, Congo, ces pays adoubés par Israël »
Depuis l’ouverture des lettres à la vapeur par les ancêtres des renseignements généraux dans les wagons postaux des chemins de fer et l’utilisation des « écouteurs » installés près des demoiselles du téléphone, tout ce qui s’imprime se copie et tout ce qui se communique s’écoute. Etats d’abord, au nom de leur souveraineté nationale, gouvernements ensuite au nom de leur durabilité politique, très grandes entreprises enfin au nom de leurs enjeux économiques… Les opérations d’interception et de renseignement sont aussi vieilles que l’humanité.
Sur l’affaire Pegasus, il convient de rappeler que Pandore, selon la mythologie, fut créée par Zeus pour se venger de l’humanité après le vol du feu par Prométhée. Elle fut dotée de tous les talents possibles, dont la curiosité. Envoyée en mission de séduction, elle réussit à subjuguer le frère de Prométhée et ouvrit la boîte – en fait une jarre – qui libéra sur la Terre, maladie, vieillesse, guerre, folie, vice, tromperie, passions, famine et orgueil. Pegasus est le nom latin du cheval ailé Pégase de la mythologie grecque. Généralement blanc, ayant pour père Poséidon, Pégase naît avec son frère Chrysaor du sang de la Gorgone Méduse, Pegasus est Porteur d’éclairs, Créateur de sources,Symbole d’inspiration poétique et de Transformation en constellation.
Les révélations faites par le Consortium de journalistes et acteurs de la Société Civile concernant le logiciel Pegasus du Groupe NSO ont provoqué de nombreuses réactions indignées, souvent à juste titre, parfois relevant d’un registre que Pandore avait dû oublier dans un recoin de son bagage, l’hypocrisie.
Ce qui semble avoir bouleversé les anciens équilibres, c’est l’apparition d’opérateurs technologiques de pointe, souvent issus des services publics de renseignement, commercialisant des outils intrusifs à la hauteur des enjeux sécuritaires d’une époque marquée par le terrorisme et le retour des tensions internationales. Palantir en fut et reste l’expression la plus visible, en termes d’exploitation et d’analyse du renseignement. Mais d’autres opérateurs se sont développés dans le secteur hautement intrusif de l’interception non judiciaire, bien mieux maîtrisée par les pouvoirs publics.
Les logiciels NSO, nés dans les boutiques de l’unité 8200 de l’armée israélienne, sont loin d’être les seuls disponibles sur les marches commerciaux : HackingTeam, GammaGroup, Ability, Verint, Intellexa et des dizaines d’autres sont positionnés sur ces marchés plus ou moins contrôlés par les Etats. Ils en profitent pour assurer une offre technologique mondiale qui sert aussi leurs intérêts souverains, de près comme de loin.
Pour les jeunes États, il conviendrait donc désormais pour leur stabilité et une gestion sécuritaire à dimension d’homme , outre le renforcement des outils de contrôle que toute importation de logiciels de surveillance fasse l’objet d’une information préalable des outils réglementaires et parlementaires mis en place depuis les lois Renseignement imposées par certains présidents à peine élus à la tête de leur pays. La sécurité d’une démocratie ne s’exporte, elle se conçoit à partir des réalités socio-économiques et socioculturelles de chaque pays.
De plus, afin d’éviter un affaiblissement de souveraineté et afin de ne pas se trouver en dépendance technologique, il conviendrait que les États interviennent rapidement afin de ne pas laisser à des opérateurs étrangers le contrôle d’entreprises nationales affaiblies par des mesures drastiques et une fiscalité à outrance, de verrouiller toutes importations de technologies pourtant autorisées venant des pays dont la conception des droits humains semble plus que discutable.
Les questions de renseignement méritent plus que des imprécations, des incantations et des lamentations. La justice et l’Assemblée Nationale doivent faire leur travail en établissant les responsabilités réelles des opérations menées. Le gouvernement doit se limiter à faire le sien en sécurisant les réseaux de communication et surtout en mettant à l’abri les développeurs nationaux qui seront les garants de la souveraineté numérique.
Pape SANÉ