mercredi, 30 octobre 2024 14:33

Scandale PETROTIM : la corruption est un crime économique qui ne rime pas avec secret d’état

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Scandale PETROTIM : la corruption est un crime économique qui ne rime pas avec secret d’état

« Le message du Procureur du pouvoir (Bassirou Gueye) pourrait être résumé en ces termes : Macky Sall et son frère Aliou Sall ont pillé les deniers publics, mais gardez le silence : c’est un secret d’état !»

Dans aucun pays au monde (sauf au Sénégal), les voleurs de deniers publics ne sont habilités à réclamer le droit au secret. Evoquer un quelconque secret d’état lié à la publication N°94/2012 du rapport de l’IGE après le carnage financier révélé par la BBC relatif à l’énorme scandale PETROTIM, c’est insulter l’intelligence de 14 millions de sénégalais. Le secret d’état n’existe pas lorsqu’il y a spoliation des ressources d’un pays par une bande de malfrats. Quel que soit le statut du malfaiteur, fusse t’il Président de la République.

En Corée, l’ex-Présidente Park Geun-HYE a été destituée en 2017, reconnue coupable de corruption et d’abus de pouvoir et condamnée à 24 ans de prison et à une amende record de 13 millions d’euros. L’ex Présidente Park Geun-HYE avait contraint des entreprises sud-coréennes à verser des dizaines de milliards à deux fondations contrôlées par une de ses amies. Dans un réquisitoire extrêmement sévère, le Juge a déclaré que « l’ex présidente a abusé du pouvoir que les citoyens lui ont confié », précisant que cette peine sévère était nécessaire pour envoyer un message fort aux futurs dirigeants. Au Brésil, l’ex Président LULA a été condamné et emprisonné pour corruption et blanchiment d’argent, reconnu coupable d’avoir accepté plus d’un million d’euros de la part d’une entreprise en contrepartie de son intervention pour l’attribution de contrats avec la société pétrolière PETROBAS. Si Macky Sall était au Brésil ou en Corée du Sud, la messe serait dite depuis longtemps (destitution + emprisonnement). Dans l’énorme scandale du « PETROTIM », l’évocation du secret d’Etat est une fiction juridique.

1. Le secret d’état ne s’applique ni aux malversations, ni à la corruption

En Afrique, et surtout en Afrique subsaharienne, les régimes ont tendance à user et abuser de concepts juridiques pour berner le peuple. Une définition du secret d’état permet de savoir qu’elle est à mille lieux éloignée du rapport N°94/2012 de l’IGE, dont le contenu traite de faits relevant de malversations, d’abus de pouvoir, de petits arrangements entre amis sur le dos du peuple et in fine de corruption (passive et active). Secret d’état et corruption sont 2 notions totalement antinomiques.

Le secret d’État « consiste à ne pas divulguer des informations vitales ou stratégiques de nature à compromettre les intérêts ou la sécurité de l’Etat ».

La corruption désigne « le fait pour une personne publique ou privée, de solliciter ou d’accepter un don ou un avantage quelconque en vue d’accomplir, ou de s’abstenir d’accomplir, un acte entrant dans le cadre de ses fonctions, pour en tirer un profit manifeste ». La conscience de l’ampleur et de la gravité de la corruption par la Communauté internationale s’est manifestée par l’adoption de plusieurs textes au niveau international : le Protocole de la CEDEAO contre la corruption (2001), la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption (2003), la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (2003), et la Convention des Nations Unies contre la corruption (2003). La corruption est considérée comme un crime économique par les institutions internationales, dans la mesure où elle sape tout effort de développement, et compromet gravement l’avenir de millions d’individus. Ce n’est pas parce que la page 1 du rapport N°94/2012 mentionne que toute personne détenant « ledit document tombe sous le coup des lois et décrets sur les crimes et délits contre la sûreté de l’Etat » qu’il faut prendre cette « référence » pour argent comptant. Les centaines de milliers, voire les millions de sénégalais qui ont pris connaissance du rapport de l’IGE et se sont rendus compte que le rapport mettait à nu un ignoble deal au plus niveau de l’Etat. C’est une farce grotesque que de croire que ces millions de sénégalais seront sanctionnés pour atteinte à la sûreté de l’Etat (le rapport de l’IGE est déclassifié de fait, puisqu’il est déjà sur la place publique)!

Le rapport de l’IGE N°94/2012 révèle des pratiques mafieuses de captation des deniers publics, des actes de malversations, de corruption et de concussion. Ces infractions relèvent du crime économique et n’ont rien à voir avec le secret d’Etat. Il ne s’agit nullement du secret d’Etat, mais plutôt d’une affaire de grand banditisme, sur fond de pillage des deniers publics. Une lecture attentive des 46 pages du rapport N°94/2012 de l’IGE démontre qu’aucune information fournie n’est de nature à mettre en péril la sécurité de l’Etat du Sénégal. Au contraire, les 2 inspecteurs d’Etat, Gallo SAMBE et Oumar SARR (dont le patriotisme est à saluer), ont alerté Macky Sall de l’irrégularité de la convention avec PETROTIM, en soulignant que la demande introduite par PETROTIM ne pourrait en aucun cas donner lieu à la conclusion d’une convention valide (cf page 30 du rapport). Mieux, les 2 inspecteurs ont évalué le lourd préjudice subi par le Sénégal en précisant « qu’une nouvelle approbation est improductive, qu’elle ne donnerait lieu à aucun versement de fonds ou gains immédiats pour l’Etat, et que rien ne justifiait une telle précipitation pour la signature des décrets d’approbation ». Cette conclusion partielle des 2 enquêteurs consignée à la page 44 du rapport de l’IGE est d’une extrême gravité pour Macky Sall, puisqu’elle assimile la signature des décrets d’approbation à un acte antipatriotique. Cet élément suffit à lui seul, pour enclencher, sans délai une mise en accusation de Macky Sall pour des actes constitutifs de haute trahison. En signant les 2 décrets d’approbation, en toute connaissance de cause (puisqu’il est écrit noir sur blanc, que l’approbation n’apportait gain pour le Sénégal), Macky Sall a trahi les intérêts du Sénégal, qu’il est censé défendre et s’est révélé un Président irresponsable et indigne qui ne mérite pas la confiance des sénégalais pour avoir failli gravement aux obligations liées à sa charge. L’intérêt du rapport de l’IGE est d’avoir informé les citoyens sénégalais que de hauts responsables aux commandes de l’Etat n’ont aucune moralité pour se servir des deniers publics.

2. La lutte contre la corruption est un Droit Constitutionnel

La Loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 portant révision de la Constitution reconnait de nouveaux droits aux citoyens sénégalais, dont le droit à un environnement sain, et le droit sur leurs ressources naturelles. Du Titre II intitulé « Des droits et libertés fondamentaux et des devoirs des citoyens », l’article 25-3 dispose que « Tout citoyen a le devoir de défendre la patrie contre toute agression et de contribuer à la lutte contre la corruption et la concussion ». Tout citoyen disposant d’informations relatives à des faits de corruption a le devoir de porter ces éléments à la connaissance du public, afin de défendre l’Intérêt Général. La lutte contre la corruption est non seulement un devoir mais également un droit garanti par la Constitution. En matière de lutte contre la corruption, le droit d’accès à l’information prévaut sur toute autre considération (il n’y a pas de secret d’Etat qui vaille).

3. Apporter des modifications juridiques au fonctionnement de l’IGE en distinguant clairement ce qui relève du secret d’Etat, des faits délictuels liés à la corruption

Dans sa fonction supérieure de contrôle de l’ordre administratif, l’IGE effectue sous le sceau du secret des missions de vérifications, d’audit, d’évaluation d’études et d’enquêtes. Le carnage financier lié à l’affaire PETROTIM a largement démontré que sous couvert de « secret », les tenants du pouvoir pouvaient s’adonner à des actes de malversations, de corruption, de détournement, de pillage des deniers publics et d’abus de pouvoir, et même agir contre les intérêts du Sénégal, en invoquant le « secret des rapports de l’IGE ». Il s’agit là d’un détournement grave de la notion de « secret d’état » en vue de couvrir des faits de corruption et de concussion. N’eut été la diffusion massive du rapport de l’IGE N°94/2012, les sénégalais n’auraient jamais su le degré de corruption d’une partie de ses élites et le manque de patriotisme de leurs dirigeants. Aujourd’hui, il y a une sorte de fourre-tout dans les rapports de l’IGE, qui donne l’impression que la corruption relève du secret d’Etat, ce qui est totalement faux. Pour éviter que des dirigeants malfrats ne s’abritent sur la notion de secret pour couvrir leurs forfaitures, des modifications juridiques rapides s’imposent :

• Tout ce qui porte atteinte à la sécurité de l’Etat (informations confidentielles et stratégiques) doit faire l’objet de rapports estampillés « secret », ce qui est déjà le cas actuellement,

• En revanche, tous les rapports faisant état des pratiques de corruption doivent être mis à la disposition du public : le vol des deniers publics n’a rien de confidentiel (il s’agit d’un crime économique). Rappelons que des centaines de milliers d’enfants ne peuvent être scolarisés ou soignés à cause de la cupidité et des turpitudes de dirigeants qui confondent les caisses de l’Etat avec leurs tiroirs personnels.

4. La justice sénégalaise n’est ni crédible, ni indépendante pour traiter l’affaire PETROTIM

Après la prière de l’Aïd al-Fitr marquant la fin du ramadan, Macky Sall a dénoncé de fausses allégations concernant l’affaire PETROTIM, prétendant que celles-ci sont sans fondement. A partir du moment où Macky Sall a orienté l’enquête en rejetant d’emblée les graves accusations portées contre son frère Aliou Sall, en violation totale du principe de la séparation des pouvoirs (grave délit d’entrave au fonctionnement de la justice), pourquoi les sénégalais perdraient leur temps à écouter un pseudo Procureur qui a toujours relayé, la voix de son maître, sans sourciller ? Bassirou GUEYE osera t’il affirmer qu’Aliou Sall est coupable alors que son frère Macky Sall (qui lui donne des ordres) a dit le contraire ? La preuve que la justice sénégalaise ne fera strictement dans l’affaire PETROTIM est apportée par l’incroyable déclaration du Ministre de la Justice Malick Sall « Aliou Sall a dit que tout ce qui a été dit contre lui est faux. Il a nié les faits. Je ne pense pas qu’un musulman comme Aliou Sall, revenant de la Mecque pour la Oumra, puisse se fourrer dans ces histoires de corruption ». Une histoire à tomber debout : quelqu’un qui est allé à la Mecque ne peut être corrompu ! A croire que le ridicule ne tue plus au Sénégal. Ainsi donc, l’ordre de disculper Aliou Sall a été donné publiquement par Macky Sall (qui risque gros si son frère y passe) et son zélé Ministre de la Justice. Si la justice sénégalaise recèle en son sein de nombreux magistrats intègres et professionnels, Bassirou Gueye est une tache noire qui jette l’opprobre et le discrédit sur sa corporation. Dans cette affaire, la justice sénégalaise déjà disqualifiée par le régime, n’agira jamais pour la manifestation de la vérité. Dans le scandale PETROTIM, la vérité des faits ne peut jaillir que des juridictions internationales (on peut le regretter mais c’est ainsi sous le magistère de Macky Sall). Dans une excellente contribution publiée, intitulée « Foutage de gueule », le journaliste Mamadou Oumar Ndiaye a remarquablement traduit l’indignation des sénégalais après le cirque du procureur du pouvoir qui ressemble à un conte pour enfants mais qui n’est rien d’autre qu’une « Foutaise ». Si le but de Bassirou Gueye était de se moquer des sénégalais, sa mission est accomplie !

Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr

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