vendredi, 22 novembre 2024 03:41

Présidentielle française : Macron… grâce au vote-barrage (Analyse)

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« Et de un, et de deux et de cinq ans de plus », reprenaient, en chœur, hier à 20 heures, leur slogan de campagne, les un peu plus de trois mille inconditionnels d’Emmanuel Macron, réunis au Champ-de-mars sur la mythique esplanade de la Tour Eiffel. Celle-là même que la mairie de Paris avait, il y a presque cinq ans, jour pour jour, refusée au jeune candidat à la magistrature suprême, lancé dans le monde de la politique et du gouvernement par le président socialiste François Hollande et que ce dernier a continué de soutenir, bien qu’il se soit affranchi pour faire son propre chemin et créer bien vite sa formation de droite « La République en marche » (LREM) qui allait bouleverser le paysage politique, assommant les partis traditionnels, dont particulièrement celui de son parrain et raflant, au passage, l’Elysée et la majorité parlementaire.
– Ça sourit à l’un…ça tourne le dos à l’autre
Une belle revanche pour Macron qui a pu accéder, hier soir, à un podium -le sien- sur cette place dont il rêvait. Il l’a fait en étant, de surcroît, détenteur d’une double consécration aussi, puisqu’il venait d’être le premier président à avoir été réélu, depuis que le quinquennat a succédé au septennat (inauguré par Jacques Chirac en 2002), le premier également, hors cohabitation. Cela se retient et cela interpelle…
A 20 heures précises de ce dimanche 24 avril, les Français découvraient donc et sans surprise, la victoire d’Emmanuel Macron, avec une marge plus que confortable (58,54%), contre 41,46 pour Marine Le Pen. Beaucoup moins que lors de leur confrontation de 2017 (66,1% / 33,9), ce qui est une « belle consolation », diront les réfractaires de l’extrême droite, non sans un certain sarcasme. « Une victoire en soi et un gage sur le proche avenir », rétorquent les militants du Rassemblement national, tant l’évolution de l’implantation de ce parti est significative. « Il faut en tenir compte », tranchent objectivement des analystes et des politiques qui rappellent que depuis la prise en main du Front national par Marine Le Pen, après la chute de son père, Jean-Marie, à la présidentielle de 2007 (8,5%), qu’elle a fini par exclure en 2015, avant de rebaptiser le parti « Rassemblement national », la montée de cette formation a été constante, au point de se retrouver deux fois de suite au deuxième tour, sans compter sa présence non négligeable à l’Hémicycle de Paris et à celui de l’Europe. « Un pourcentage qui tient de l’exploit », n’hésiterions-nous pas à dire , malgré l’écart des douze points et demi qui ont séparé les deux candidats. C’est que tout a souri à Macron et que tout a tourné le dos à Le Pen, indépendamment de leurs atouts et de leurs erreurs. Petit flash-back.
En effet, bien avant la fin du quinquennat 2017-2022, deux blocs, diamétralement opposés, émergeaient clairement, en tant que concurrents sérieux du président et de sa majorité : l’extrême droite et la gauche radicale. Or, celle-ci autant que celle-là font peur à une bonne frange de Français, dont beaucoup de non partisans ni même sympathisants, enclins à la modération et à des politiques du juste milieu, qu’elles soient de droite ou de gauche, que depuis six – sept ans, seul Macron représente avec force, après l’affaiblissement, parfois jusqu’à l’effritement, des autres formations; le Parti socialiste entre autres. Un capital conséquent de votants qui s’est ajouté à ses inconditionnels, lors du premier tour du 10 avril où il a recueilli 27,84% des voix, devant ses rivaux représentant les « extrêmes », Marine Le Pen (23,15) et Jean-Luc Mélenchon (22,8), malgré un quinquennat marqué par une évidente fracture sociale, une chute du pouvoir d’achat, une gestion catastrophique de la situation au début de la pandémie du coronavirus, une paupérisation des secteurs de la santé et du logement, la crise des Gilets jaunes et des décisions, parfois relevées par d’étonnants propos et déclarations dénotant un déni total, voire mépris, des critiques et des positions discordantes.
Il profitera, également, d’un facteur exogène important, à savoir la dispersion des voix de ses deux blocs concurrents. Effectivement, l’apparition d’Eric Zemmour, pour ne citer que ce radical de droite, a écorné électorat et soutiens de Le Pen, jusqu’à sa propre nièce. Alors que de l’autre côté, Mélenchon essuyait au moins la rivalité directe de Yannick Jadot et de Fabien Roussel, représentants de respectivement « Europe-écologie les Verts » et Parti communiste, deux formations proches de la même mouvance. De ce bord ou de celui-là, un bloc derrière un seul prétendant aurait peut être changé le verdict du premier tour de cette présidentielle où Macron n’a même pas eu à cravacher, lors de la campagne, tant le tableau lui était favorable.
– Marine contre tous et contre Le Pen
Encore mieux pour lui, puisque quelques minutes avant son allocution de passage au deuxième tour, sept des dix malheureux candidats appelaient déjà directement -certains sans le nommer- à voter pour le président sortant, tout au moins ne donner aucune voix à l’extrême droite, cette dernière étant, pour eux, le pire des maux pour le pays. Fatal pour Le Pen, surtout avec la farouche opposition de Mélenchon, avec ses près de 23% d’électeurs. Il ne restait, comme chance, pour Le Pen qu’à s’atteler à convaincre, en douze jours, les hésitants et les abstentionnistes et, surtout, à dominer son adversaire, dans le duel télévisé d’entre-les-deux-tours, le seul vrai élément susceptible de renverser la vapeur. Et c’est là où elle a raté le coche, signant une défaite, désormais annoncée et dont on n’attendait de savoir que l’étendue.
En effet, elle fut tantôt hésitante, tantôt confuse, jusqu’à l’effacement. Macron, loin d’être brillant, ne trouvait aucune difficulté à l’acculer, à retourner à son avantage ses griefs pour, enfin, la battre à plate couture, dans la plus médiocre des confrontations en direct, devenues tradition républicaine, depuis 1974.
C’est pour cela que nous avançons que c’est déjà un miracle qu’elle ait évité le Waterloo de 2017 (33,9%) et atteint 41,46, cette année. Des chiffres qui devraient donner à réfléchir -à agir aussi- au vainqueur.
Effectivement, ce n’est pas tant pour ses réalisations du premier quinquennat ni pour son programme électoral, qu’il a gagné. Tout a joué pour lui, des maladresses qui ont courtisé l’incompétence de Le Pen, jusqu’au vote barrage contre elle. Des avantages qui auraient dû élargir davantage l’écart. Pour comparaison, dans des conditions presque analogues et avec ce genre de soutiens, volontaires et « obligés », Jacques Chirac avait atteint des sommets (78%), face au père Le Pen, en 1992. Et si Ségolène Royal, tout comme d’autres politiques, a rappelé à Emmanuel Macron qu’il a profité d’un scrutin-sanction et que sa reconduction n’a été ni pour son programme ni pour son actif de président sortant, il a lui-même reconnu, sur le parvis de la Tour Eiffel, le vote-barrage à l’extrême droite, s’engageant à œuvrer à rassembler, à réduire la fracture sociale, à améliorer les conditions de vie des Français, à promouvoir l’environnement et à encourager le travail, l’entreprenariat et l’inventivité, notamment celle des jeunes.
Un discours apaisant et de réconciliation, où il a montré de la retenue et une certaine gratitude, loin de sa suffisance, parfois méprisante, qui a marqué nombre de ses sorties et qui fait que 50% des Français le trouvent arrogant (16% pour Le Pen, à titre de comparaison). Il a même « préparé » dans le passage où il allait évoquer « Mme Le Pen, au milieu de son allocution d’hier : « Ne sifflez personne. Depuis le début, je vous ai demandé de ne siffler personne… », alors qu’il n’y avait pas de sifflets, ou à peine audibles. Il est vrai que Macron se projetait déjà dans les prochaines législatives (le « troisième » tour) qui auront lieu les 12 et 19 juin prochain, où il aura besoin d’une majorité acquise -et soumise- pour un quinquennat sans troubles, dans une France en pleins remodelage et recomposition politiques. L’opposition ne l’entend pas de la même oreille et ne veut pas qu’il jouisse de tant de pouvoir.
Mais c’est là, une autre paire de manches à laquelle nous reviendrons.
Par AA/ Slah Grichi, journaliste, ancien rédacteur en chef du journal La Presse de Tunisie.

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