L’humanité est confrontée à une grave crise sanitaire, provoquée par le virus dénommé covid19.La pandémie a fait de nombreuses victimes dans le monde entier et continue de tenir les populations en haleine. Pour faire face à cette situation, les autorités sénégalaises ont pris d’importantes mesures afin d’endiguer la maladie. Ainsi, l’Etat d’urgence a été décrété sur l’ensemble du territoire national en vertu de la loi 69 29 du 29 avril 1969 (cf décret n 2020 830 du 23 mars 2020 proclamant l’état d’urgence sur le territoire national).
Cette décision a été assortie d’une série de mesures qui entrainent notamment les conséquences suivantes :
-restriction de la libre circulation des personnes et des biens, et l’interdiction du transport urbain ;
-interdiction de tous les rassemblements et manifestations publiques ;
– fermeture à titre provisoire des lieux publics et lieux de réunion ;
-la mise en place d’un couvre-feu de 20h à 06heures sur toute l’étendue du territoire national.
Des mesures d’accompagnement sur le plan économique et social ont également été prises avec notamment l’allocation d’un important budget destiné aux couches les plus vulnérables. Toutefois, nous constatons que certaines catégories vulnérables sont oubliées de la réponse économique et sociale des autorités, les migrants principalement. Bien qu’étant des étrangers sur le territoire national, les migrants bénéficient tout de même de droits en vertu des textes internationaux relatifs aux droits humains. L’article 12 du Pacte International relatif aux Droits Economiques Sociaux et Culturels garantit « le droit qu’a toute personne de jouir d’un meilleur état de santé physique et mental qu’elle soit capable d’atteindre. » En tant que membre de la famille humaine, le migrant doit pouvoir jouir des libertés fondamentales reconnues à tous.
Les mesures que l’Etat doit prendre pour permettre le plein exercice de ces droits doivent inclure notamment,
– la prophylaxie et le traitement des maladies épidémiques, endémiques, professionnelles et autres ainsi que la lutte contre ces maladies.
– la création de conditions propres à assurer à tous des services médicaux et une aide médicale en cas de maladie (alinéa c, d du PIDESC).
L’article 16 de la Convention Internationale sur la protection des Droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990 dispose également que « les migrants et les membres de leur famille ont droit à la liberté et à la sécurité de leur personne. Les travailleurs migrants et les membres de leur famille ont droit à la protection effective de l’Etat contre la violence, les dommages corporels, les menaces et intimidations, que ce soit de la part des fonctionnaires ou de particuliers, de groupes ou d’institutions ».
Toutefois la protection des migrants au Sénégal a montré une fois de plus ses limites face à la crise sanitaire. En effet, beaucoup de migrants vivent dans une situation d’extrême vulnérabilité. Sans papiers, ni soutien, ils peinent à satisfaire leurs besoins. Leurs conditions de vie les tiennent à l’écart des campagnes de prévention et ne leur donnent pas les moyens de respecter les mesures de prévention. Dans le village de Kharakhéna situé à 35 km de Kédougou, les migrants font face à d’énormes difficultés, selon le président de l’association des migrants ivoiriens. La fermeture des sites d’orpaillages risque d’accroître davantage leur situation précaire. Ne pouvant plus exploiter les mines afin de subvenir à leurs besoins, ces migrants sont maintenant exposés à des formes de menace plus graves. Ils ne peuvent plus assurer leur subsistance et se doter de moyens de précautions nécessaires pour se prémunir de cette pandémie. En les laissant survivre dans ces conditions sans assistance, les autorités sénégalaises fragilisent encore plus ces populations face au coronavirus, avec des conséquences qui peuvent être plus grave que la santé. S’il n’y a pas plus de risques pour ces personnes de contracter le virus, il y a de forts risques pour qu’elles soient frappées plus durement si elles venaient à le contracter.
Etat partie à toutes les conventions relatives aux droits de l’homme, l’Etat du Sénégal doit respecter les engagements pris au niveau international en garantissant la pleine jouissance des droits fondamentaux reconnus à toutes les personnes qui sont sous sa juridiction : citoyens sénégalais, réfugiés, migrants en situation régulière ou irrégulière. Il est donc dans l’obligation de prendre des mesures en faveur des migrants et de faire de la question de la pauvreté et de l’accès aux soins pour tous une priorité. Le plan de renforcement de la résilience sociale annoncé par le Chef de l’Etat doit prendre en compte cette catégorie de personnes afin de les aider à faire face à cette pandémie de coronavirus et à observer les mesures de précautions édictées par les autorités sanitaires.
Oumy Sya SADIO
Chargée du programme « accès à la justice des migrants »
Amnesty International Sénégal
Email : oumysya.sadio@amnesty.sn