148 milliards de dollars. C’est ce que coûterait la corruption, chaque année, aux pays africains, selon Akinwumi Adesina, le président de la Banque africaine de développement (BAD). Rapportée, par exemple, au coût global de l’acheminement énergétique annuel en Afrique, qui s’élève à 55 milliards de dollars, la somme laisse songeur. Sans parler des freins au développement que la corruption impose de manière sournoise.
D’après Transparency International, qui classe dans son Index 2018 les pays du continent parmi les derniers en termes de transparence financière, les jeux d’argent amputeraient, chaque année, les États africains de 25 % de leur richesse. De quoi diminuer drastiquement les investissements privés : les gros acteurs craignent en effet de collectionner les affaires de malversations, tandis que les plus petits souffrent d’une concurrence totalement faussée.
Les effets de la corruption, due en grande partie à l’importance des échanges de liquidités en Afrique — ceux-ci facilitent les pots-de-vin —, peuvent être malheureusement d’autre nature que « simplement » économiques. Car une fois l’entente scellée avec les autorités compétentes, les entreprises font en sorte de récupérer la somme versée en délivrant des prestations à moindres frais. Résultat : des infrastructures claudicantes faisant courir un grave risque aux citoyens. « Il n’est pas surprenant que 83 % des décès dus à l’effondrement de constructions dans les tremblements de terre au cours des 30 dernières années aient eu lieu dans les pays où règne la corruption », affirme ainsi très clairement Transparency International.
Afin d’endiguer ce fléau — qui n’est cependant pas propre à l’Afrique, loin de là —, l’Union africaine (UA) a érigé, l’an dernier, la lutte contre la corruption en objectif fondamental. Lors du 31e sommet de l’organisation, en juillet 2018 à Nouakchott (Mauritanie), Muhammadu Buhari, le président du Nigéria, considéré comme l’une des têtes de proue de la lutte anti-corruption, avait d’ailleurs rappelé : « alors que nous continuons de commémorer l’année africaine de la lutte contre la corruption, le fléau des flux financiers illicites continue de remettre en cause nos acquis et nos aspirations inscrits dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine et des Objectifs de développement durable des Nations unies ».
Le Sénégal, la Côte d’Ivoire et les Seychelles récompensés
Heureusement, hormis le Nigéria, dont le chef de l’État a commencé à redistribuer aux populations peu aisées le fruit de sa lutte anti-corruption — qui pourrait s’élever, dans un premier temps, à près de 1 milliard de dollars —, certains pays ont fait d’énormes progrès ces dernières années. Parmi ceux-là, le Sénégal (67e sur 183), qui a grappillé 10 places depuis 2013 dans le classement de Transparency International, fait figure d’exemple à suivre.
Lors de son arrivée au pouvoir en 2012, Macky Sall promettait, non sans provoquer le doute voire les railleries de certains, de mettre fin à la corruption ; quelques années plus tard, la lutte contre la fraude et la prolifération des « biens mal acquis » commence donc à faire ses preuves. L’une de ses actions emblématiques ? La renégociation des contrats liés à l’exploitation des ressources naturelles sénégalaises, trop souvent bradées, par le passé, aux multinationales du secteur.
L’an dernier, le coordinateur de Transparency International pour l’Afrique de l’Ouest, Samuel Kaninda, était déjà revenu sur les progrès enregistrés par Dakar. Ce qui a changé la donne ? L’institutionnalisation de la lutte contre la corruption, avec « un ministère de la bonne gouvernance et un Office de lutte contre la corruption ». La Côte d’Ivoire, – qui s’inspire sans doute de son voisin ghanéen, qui fait figure d’exemple dans la région – où une « Haute autorité de bonne gouvernance » a également été créée, avait reçu quelques lauriers de la part du coordinateur de l’organisation.
Ce dernier se félicitant qu’un « leadership affiché au niveau des chefs d’État de ces deux pays » ait émergé, tout en rappelant aux autres pays africains que « cette évolution positive » nécessitait « un investissement dans le temps ». Quelle que soit, d’ailleurs, la voie empruntée. Aux Seychelles, par exemple, le gouvernement a choisi de mêler à la lutte anti-corruption un autre combat de long-terme : celui de l’égalité entre les sexes. Et s’est vu récompensé par l’UA, en mars dernier, à ce double titre.
Comme le rappelle Transparency International régulièrement, la fin des conflits d’intérêts, en politique, est consubstantielle au développement des démocraties africaines. Un impérieux combat, qui ne pourra se conduire que sur le long-terme. Le temps de mettre en place les administrations nécessaires et, surtout, de changer les mentalités. Car non, la corruption en Afrique n’est pas une fatalité.
Regis Fagbéni
*Consultant en économie et finance, formateur à l’EEP d’Orléans et chargé de cours de finance au CNAM.