vendredi, 22 novembre 2024 05:03

Effectivité de la baisse du loyer, comment Macky SALL s’achemine vers une nouvelle désillusion

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Sénégal
Atlanticactu / Dakar / Avec Jeune Afrique
Malgré les effets d’annonce sur la baisse des prix du loyer, les usagers sénégalais s’interrogent sur l’effectivité de cette loi votée depuis 2014 et qui peine à être appliquée. Faiblesse des pouvoirs publics ou manque de volonté politique, tout indique que le président Macky Sall se dirige vers une nouvelle promesse qui ne sera pas tenue. Depuis le 1er mars, une commission nationale est chargée de faire respecter le décret encadrant la baisse des loyers. Reste à savoir si elle en a la capacité, dans ce domaine aux allures de Far West.
« Aujourd’hui, la plupart des acteurs du secteur locatif ne maîtrisent pas la législation portant sur les loyers. Ils sont en infraction, sans même le savoir. Il ne suffit pas d’écrire “à louer” sur un tableau », clarifie Momar Ndao, président de la Commission nationale de la régulation des loyers du Sénégal (Conarel).
Depuis le 1er mars, il incombe à ce conseiller technique à la présidence de la République la lourde tâche de réguler le secteur locatif et immobilier au Sénégal. « Nous souhaitons encadrer le travail des agents immobiliers et des courtiers, en le soumettant à des conditions de diplômes et de formations juridiques. Le but, c’est de mettre fin à l’anarchie du secteur », indique-t-il à JA.
Discrimination au logement

Le jour où cette commission a été créée, un décret visant à encadrer le montant des loyers est entré en vigueur à Dakar et en région – une baisse échelonnée selon le montant payé chaque mois par un locataire, allant de 15 % pour les loyers inférieurs à 300 000 F CFA, à 5 % pour les loyers supérieurs à 500 000 F CFA. En 2014, le Parlement avait adopté une loi similaire pour alléger les charges des locataires les plus pauvres, mais, contournée par les bailleurs, cette mesure avait échoué.

À Dakar, où vit environ un Sénégalais sur quatre, l’inflation galopante et la bulle spéculative du logement rendent la situation intenable pour nombre de locataires. « Les loyers ont augmenté de plus de 200 % depuis la dernière tentative de baisse [en 2014], alors que les coûts de la construction n’ont évolué que de l’ordre de 45 % », déclarait en novembre dernier à la presse le président Macky Sall. Discrimination au logement, loyers fixés de manière arbitraire… Le secteur s’illustre par les dérives qui y règnent.
« Nous sommes décidés à appliquer la législation coûte que coûte », indique aujourd’hui Momar Ndao, qui était l’un des initiateurs de la loi votée en 2014 déjà. « Pour le moment, nous sommes agréablement surpris du niveau de respect du décret, poursuit-il, dégainant des chiffres. Au 24 mars, nous avons reçu un peu moins de 3 000 appels sur notre numéro vert. Parmi eux, 2 147 demandes de renseignements, et 685 plaintes ou réclamations. Nous avons convoqué une centaine de bailleurs, la plupart se sont montrés conciliants. Généralement, ce sont des incompréhensions, sur la date d’entrée en vigueur du décret, par exemple. Les bailleurs qui ont déjà appliqué la loi de 2014 ne sont pas concernés par le décret, mais encore faut-il le prouver. »
Contrer les bailleurs récalcitrants
La commission devrait à terme disposer de ses propres bureaux dakarois et recruter une équipe de 114 agents, à Dakar et en région. En attendant, elle fait avec les moyens du bord, avec un seul numéro vert pour répondre aux demandes de tous les locataires et bailleurs du pays. D’aucuns regrettent que l’équipe n’ait pas été mise en place en amont de l’application du décret, ce qui aurait permis davantage de fluidité et de réactivité.
« Un très bon acte vient d’être posé, mais ça ne va pas régler le problème du jour au lendemain », indique à JA Elimane Sall, président de l’association des locataires du Sénégal. « Depuis début mars, sur dix bailleurs, quatre ont appliqué la baisse, trois ont refusé, et les trois derniers attendent d’y voir plus clair pour prendre une décision », estime cet homme de terrain.
Parmi les propriétaires réfractaires, certains ont menacé d’expulser leurs locataires en se servant de la loi qui permet de donner congé au résident pour occupation personnelle ou démolition. L’idée étant de remettre ensuite le bien en location, en augmentant le prix au passage. D’autres ont refusé d’encaisser les loyers, puis assigné leurs locataires pour défaut de paiement. « Ce sont des subterfuges que la commission s’apprête à régler, en collaboration avec la police et la gendarmerie », assure Elimane Sall.
« Le locataire peut envoyer le loyer par un système de transfert d’argent, pour garder une trace, ou bien se rendre à la Caisse des dépôts et consignations en faisant appel à un huissier ou au tribunal, avec un courrier et un timbre de 2 000 F CFA », précise de son côté Momar Ndao.
Manque de données chiffrées
Selon Elimane Sall, les contrôleurs du numéro vert ne maîtriseraient pas toujours les subtilités juridiques du secteur, ce qui poserait des problèmes dans des situations d’urgence comme les procédures d’expulsion. « Dans ces cas-là, le locataire est en mesure de suspendre, voire d’arrêter la procédure, mais encore faut-il le savoir. S’il n’a pas cette information, il risque d’être jeté à la rue… », s’inquiète le président de l’association des locataires.
En dix ans de présidence, ce professeur de lettres modernes au collège bilingue de Dakar a été confronté aux dérives du marché locatif. « Les bailleurs veulent rentabiliser rapidement leurs biens. Ils amortissent la construction d’une maison en dix ou quinze ans, via des crédits à court terme, là où il en faut vint ou plus normalement. Tout ça, ils le font sur le dos des locataires. Ces facteurs influent sur la hausse des prix », déplore-t-il.
Autre problème : le manque de données chiffrées du secteur. Aucune mairie dakaroise ne serait en mesure de donner le nombre exact de locataires et de bailleurs dans son périmètre. « Au sein de notre association, nous préconisons une numérisation des informations du secteur, un recensement exact, municipalité par municipalité, pour éviter les abus et les fraudes fiscales », poursuit Elimane Sall.
Interrogé à ce sujet, Momar Ndao estime à 196 400 le nombre de logements dakarois destinés à la location. Un chiffre qui, après vérification, provient d’un rapport de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) daté d’août 2012. Dès lors, comment mesurer avec exactitude le degré de respect du décret du 1er mars ?
Le président de la Conarel se montre en tout cas optimiste : « La communication est l’un des premiers défis à relever. Ces prochains mois, la commission entend organiser des ateliers et des réunions publiques d’information. Une grande partie du problème est liée au fait que les acteurs du domaine ne connaissent pas la réglementation. »
Reste à savoir si la commission a les moyens de ses ambitions. « Il faut que l’État mobilise des moyens logistiques et financiers, avec la communication adéquate. Pour le moment, ces derniers sont minimes au regard de la dimension du problème », estime Elimane Sall, qui pense à passer la main après des années aux commandes de l’association des locataires du Sénégal.

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