EXCLUSIF. La patronne de RT France déplore que sa chaîne soit interdite parce que « financée par de l’argent public russe, et non pour des fautes qu’elle aurait commises ». Elle y voit « une forme de censure, étant rappelé que la France et la Russie ne sont pas en guerre ».
Xenia Fedorova dénonce la méthode employée par l’Union européenne qui a imposé la fermeture du média russe RT France, parmi les sanctions au déclenchement de l’invasion militaire de l’Ukraine décidé par Vladimir Poutine. La présidente de la chaîne déplore aussi le silence des autorités françaises et annonce la probable liquidation de l’entreprise qui compte 176 salariés. Elle a souhaité répondre aux questions de l’Opinion par écrit, sous forme d’échange de courriels.
RT France a été suspendue de tous les canaux français de diffusion mercredi à 16 heures. Comment cette suspension s’est-elle déroulée techniquement ?
Nous avons appris par les médias la publication de la décision de sanctions et il était alors clair que nous allions être coupés dans les minutes ou les heures suivantes. Nous avons continué à diffuser jusqu’au dernier moment. Notre dernier JT a été diffusé à 13 heures, après que la majorité des opérateurs nous ont coupés. Ce fut un moment émouvant pour toute l’équipe car déjà, la veille, quasiment tous les accès à nos réseaux sociaux avaient été coupés, mais nous pouvions à peine croire ce qui se passait.
Comment avez-vous vécu ce moment ?
Avec beaucoup de tristesse évidemment. C’est une grave à atteinte à la liberté d’expression, à la liberté de la presse. Cette décision de nous bannir ne s’est inscrite dans aucune procédure contradictoire et elle n’est absolument pas proportionnée. On ne résout pas un conflit en fermant un média. Il y a plus de 100 journalistes français chez RT France et ils font leur travail avec un grand professionnalisme. Cette situation est très injuste, pour eux et pour nos téléspectateurs qui nous accordent leur confiance depuis quatre ans.
Quelles sont vos intentions pour la chaîne ?
Nous devons être réalistes et notre objectif est avant tout de protéger nos salariés – nos journalistes et le personnel administratif. Rappelons que 176 personnes risquent de se retrouver au chômage dans des conditions difficiles, compte tenu du contexte. Et si on espère que la situation va s’améliorer, le message envoyé par le président français est clair et ne laisse planer aucun doute sur l’avenir de la chaîne en France.
Que va-t-il se passer concrètement maintenant pour les salariés de RT France ?
Pour le moment, des salariés sont mis en dispense d’activité et une petite équipe continue à couvrir l’actualité pour notre site web qu’il est encore possible de consulter hors de l’UE.
Allez-vous indemniser les journalistes qui ne peuvent plus travailler ? Leurs contrats sont-ils suspendus ?
Les contrats ne sont pas suspendus. Notre priorité est que nos salariés puissent continuer à toucher une rémunération. Si nous ne pouvons pas garantir la poursuite de l’activité, nous devrons être sûrs que les salariés obtiennent ce que le droit du travail leur accorde, ainsi qu’une assurance-chômage. Pour le moment, les salariés sont toujours en contrat chez nous et donc rémunérés mais, comme je l’ai expliqué, la majorité est mise en dispense d’activité étant donné qu’il n’y a pas de diffusion et qu’elle n’a pas de travail à effectuer.
La chaîne va-t-elle se déclarer en faillite ?
Nous aurons une image plus claire de la situation dans les prochains jours, mais il est vrai qu’en bloquant notre diffusion et en suspendant notre convention, nous n’avons aucune activité. De plus, nous avons des problèmes avec la réception des fonds pour maintenir notre activité et, si la situation ne change pas, la liquidation de la société pourrait être notre seule option.
L’Union européenne a annoncé une interdiction temporaire de la chaîne. Combien de temps pourriez-vous tenir sans diffuser?
Je trouve assez extraordinaire et hypocrite une déclaration de l’Union européenne, qui affirmait que l’interdiction qui a été décidée cible la diffusion des contenus mais que les journalistes pouvaient continuer à travailler. RT France est un média français dont l’activité principale est une chaîne d’information en continu et, sans production et sans financement, il n’y a pas de possibilité de continuer à travailler.
Comment se passe la résiliation des contrats avec les opérateurs satellites ? Ils vous remboursent ? Comment faites-vous par exemple pour le loyer des locaux ?
Nos avocats travaillent sur chaque contrat qui a été arrêté et nous procéderons conformément aux conseils juridiques.
Quel a été votre dialogue avec les autorités françaises ?
Personne ne nous a informés des décisions qui ont été prises, à aucun moment. Nous apprenons toutes les décisions qui nous concernent dans la presse. En ce qui concerne l’Arcom [Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, ex-CSA], nous n’avons eu aucun retour du régulateur quand nous l’avons sollicité après les déclarations de Mme Von der Leyen [présidente de la Commission européenne]. Nous avons découvert lors de sa publication, mercredi 2 mars, le bref communiqué du régulateur qui expliquait que la réglementation européenne a pour effet de suspendre la convention et la distribution de RT France. En ce qui concerne les autorités françaises, nous avons appris que des réunions se sont tenues sur l’interdiction de RT France. Pas une seule fois, ils n’ont essayé de nous contacter, tandis que nos appels et nos questions à l’Arcom sont restés sans réponse.
Avec L’Opinion