Quatre cyclones successifs en un mois. Madagascar peine encore à se relever à la suite des dégâts laissés par les cyclones Ana, Batsirai, Dumako et récemment Emnati. Les experts sont unanimes : la Grande île fait face aux effets du changement climatique. Toutefois, l’intensité des cyclones semblent prendre le pas sur leur fréquence qui n’est nullement un fait extraordinaire pour Madagascar. « Si l’on se réfère aux données du passé, ce n’est pas la première fois que Madagascar fait face à autant de cyclones en si peu d’intervalle. Pour cette année, nous avons pu constater que les conditions ont été, bel et bien, réunies au niveau de la zone de cyclogenèse privilégiée dans l’Océan Indien, d’où cette série d’intempéries », explique à l’Agence Anadolu Rivo Randrianarison, Prévisionniste au service Météorologie de Madagascar.
D’après son analyse, les effets du changement climatique s’observent surtout au niveau de l’intensification des cyclones. Officiellement, la saison cyclonique à Madagascar se situe à partie du 1er novembre jusqu’au 30 avril. Un petit retard a été néanmoins enregistré pour le bassin cyclonique de l’Océan Indien. Auparavant, il fut un temps où Madagascar a été frappé par un cyclone dès le mois de décembre comme ce fut le cas en 2019. Pour cette année 2022, les cyclones ont frappé à partir du mois de janvier mais avec une intensité plus importante et ont donc provoqué des dégâts plus importants à leur passage. « Il existe plusieurs enjeux qui font que Madagascar devient de plus en plus vulnérable face aux cyclones », explique ce prévisionniste de Météo Madagascar. Parmi ces enjeux, il cite la démographie, la dégradation de l’environnement, la pauvreté ou encore l’absence d’infrastructures comme les habitations anticycloniques. Par conséquent, cette vulnérabilité fait que Madagascar ressent davantage les effets des cyclones par rapport aux autres îles de l’Océan Indien qui ont été frappés au même titre que la Grande île.
– Rapport alarmant
Le 28 février dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié son sixième rapport intitulé « Changement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité ». Dans un communiqué en date du 02 mars, les échos de ce rapport scientifique ont été relayés par le WWF (Fonds Mondial pour la Nature) à Madagascar qui parle du « rapport le plus alarmant jusqu’à ce jour ». En effet, ledit rapport met l’accent sur une accélération avérée du rythme et de l’ampleur des impacts climatiques, qui débouchent sur des conséquences dévastatrices et qui vont bien au-delà des actions de préparation et de relèvement destinées à y faire face. Toujours selon ce même rapport, Madagascar est parmi les pays victimes d’une « injustice climatique ». En effet, la Grande île fait partie des régions les plus pauvres du monde qui sont considérées comme étant les plus vulnérables aux impacts du changement climatique. A preuve, le nombre de décès liés aux inondations, aux sécheresses ou aux tempêtes y est 15 fois plus élevé que dans les pays développés. Madagascar en a, d’ailleurs fait l’expérience lors du passage du cyclone tropical intense Batsirai le 05 au 06 février dernier et dont le dernier bilan officiel du Bureau national de gestion des risques et catastrophes fait état de 121 morts et plus de 140 000 sinistrés.
D’après toujours le GIEC, au cours de la dernière décennie, la modification des modèles climatiques dans le sud de l’Océan Indien ont pris de court certaines régions de Madagascar qui n’y sont pas préparées. Par conséquent, le pays est en proie à des tempêtes et inondations plus intenses. « La population de Madagascar et ses écosystèmes uniques sont menacés en raison de leur vulnérabilité aux modèles climatiques actuels et futurs. A cette crise cyclonique actuelle s’ajoutent les déficits pluviométriques depuis plusieurs années qui frappent encore le grand sud, où les populations sont aujourd’hui confrontées à la famine du fait de l’insécurité alimentaire, exacerbée par la pandémie de Covid-19 », souligne la déclaration du WWF.
Nanie Ratsifandrihamanana, directrice de WWF Madagascar, déclare : « La crise alimentaire dans le sud de Madagascar et l’intensité de la saison cyclonique actuelle sont des preuves que le changement climatique est à l’œuvre, et que les personnes et les écosystèmes les plus vulnérables sont les plus touchés ». D’après ses arguments, le changement climatique va jusqu’à affecter les moyens de subsistance des populations incluant les besoins les plus élémentaires tels que la nourriture, l’eau potable, les soins et la santé, etc. Cette responsable du WWF préconise que des mesures soient appliquées à la fois pour répondre aux besoins humanitaires les plus urgents tout en renforçant la résilience économique, sociale et écologique à plus long terme pour les populations malgaches impactées par les effets du changement climatique.
– La partie saillante de l’iceberg
A priori, la situation actuelle ne montre qu’une partie de l’Iceberg. Rakotomavo Zo Andrianina, Chef de service des Recherches au sein de Météo Madagascar annonce, dans une déclaration à l’Agence Anadolu, que la situation allait encore se compliquer pour Madagascar dans l’avenir. Parmi les principaux signes annonciateurs des effets du changement climatique figurent notamment la hausse considérable des températures (+1,5 degré d’ici 2030, – 5 °C d’ici 2100). Ces effets se ressentent aussi au niveau des précipitations. « La quantité de pluies n’a pas vraiment changé, toutefois, on remarque une perturbation au niveau des précipitations. Autrement dit, les pluies torrentielles se succèdent à petit intervalle et avec beaucoup plus d’intensité. Cela explique aussi l’avènement de nombreux cyclones intenses au pays ces dernières semaines », explique-t-il. La hausse du niveau de la mer constitue une autre forme visible de la montée des effets du changement climatique. Pour le cas de Madagascar, l’érosion des zones côtières, conséquence directe de la montée des marées, se fait de plus en plus importante.
Pour ce spécialiste, les mesures visant à réduire l’émission de gaz à effet de serre doivent être multipliées. En revanche, comme Madagascar ne figure pas parmi les pays les plus pollueurs du monde, le combat revêt une toute autre dimension : le rétablissement de la couverture forestière à travers le reboisement. L’adoption de gestes écologiques comme l’utilisation des sources d’énergie renouvelable apparait également une solution efficace pour endiguer la dégradation de la couche d’ozone à long terme. Madagascar doit aussi adapter le mode de vie de sa population par rapport au climat notamment par le recours aux cultures qui peuvent s’accommoder aux fortes températures. Ainsi, les défis sont de taille pour la Grande île et les dirigeants doivent réviser leur politique afin d’être davantage dans la capacité d’anticipation plutôt que dans la réaction après catastrophe.