vendredi, 22 novembre 2024 18:24

Burkina Faso : la situation sécuritaire commande des actions « urgentes » (Analyse)

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Depuis 2015, le Burkina Faso est confronté à un climat d’insécurité, traduit par des pertes en vies humaines dont le bilan est estimé à environ 2000 personnes, tant parmi les forces de défense et de sécurité que parmi les populations civiles, ainsi que par une instabilité sociale poussant plus de 1,4 millions personnes au déplacement interne (31 août 2021), dont 53% sont en âge d’aller à l’école, selon le gouvernement burkinabè.
Selon International Crisis Group, depuis la première attaque revendiquée par un groupe terroriste en octobre 2015, plus de 550 incidents ont été répertoriés au Burkina Faso.
Des infrastructures publiques ont été désertées ou détruites et à la date du 28 mai 2021, 2 244 établissements scolaires étaient fermés affectant 304 564 élèves dans plusieurs régions du pays, selon le ministère de l’Education.
Ce cycle infernal a commencé un certain 23 août 2015, quand un gendarme burkinabè fut mortellement blessé dans une attaque menée contre le poste d’Oursi par trois hommes armés, dans le nord du Burkina Faso.
C’était la première attaque terroriste menée contre un poste des services de sécurité burkinabés près de la frontière avec le Niger et le Mali. Ensuite, le 9 octobre 2015, trois gendarmes, un assaillant et un civil ont été tués lors d’un affrontement à Samorogouan dans la province du Kénédougou, à l’ouest du pays.
A partir de 2016, les attaques se multiplient contre les positions des forces de défense et de sécurité et les populations civiles dans le nord et le Sahel burkinabè, certaines de ses attaques portant la signature de l’organisation terroriste Daech.
Le 15 janvier 2016 dans la soirée, la capitale Ouagadougou sera frappée par un attentat, lorsque des terroristes ouvrent de feu sur des civils occidentaux dans un bar-restaurant et un hôtel. L’attaque fait 30 morts et est revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et attribuée à la katiba « Al-Mourabitoune ».
Fin 2016, le nombre des attaques terroristes augmente avec la formation d’un nouveau mouvement : Ansarul Islam, dirigé par l’imam burkinabè Ibrahim Malam Dicko.
Le groupe est actif dans les territoires frontaliers séparant le Mali et le Burkina Faso et particulièrement dans la province du Soum, au Burkina Faso.
Plusieurs attaques, dont celle de Nassoumbou le 16 décembre 2016 avec un bilan 12 soldats tués seront revendiquée par le groupe de Malam Dicko qui a été tué à son tour en juin 2017 dans une opération militaire, selon des sources concordantes.
Et la situation de se dégrader davantage. En effet, dans la nuit du 14 août 2017, la capitale, Ouagadougou, sera frappée par un nouvel attentat, quand deux hommes armés entrent dans un café-restaurant et tuent 18 personnes avant d’être à leur tour abattus par les forces d’intervention burkinabè.
Les forces armées burkinabè lancent alors une série d’opérations dans le nord du pays à la fin de l’année 2017. Mais elles sont soupçonnées par les organisations des droits de l’Homme d’exactions.
Le 2 mars 2018, un commando du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans mène une autre attaque à Ouagadougou contre l’ambassade de France et l’état-major général des armées burkinabè. Huit soldats et huit assaillants sont tués dans cette attaque.
Dans la nuit du 21 au 22 mai de la même année, les forces spéciales de la gendarmerie burkinabè lancent un assaut contre une cellule dormante terroriste retranchée dans une villa à Karpala, un quartier situé au sud-est de Ouagadougou. Trois assaillants et un gendarme sont tués dans l’opération.
A partir de ce cette date, les violences commencent à gagner l’Est et d’autres régions du pays.
Le 12 août, cinq gendarmes et un civil sont tués par l’explosion d’une mine, suivie d’une fusillade du site minier de Boungou, à une centaine de kilomètres de Fada N’Gourma à l’Est du pays.
Le 31 décembre 2018, le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré déclare l’état d’urgence dans certaines provinces du pays et donne des instructions pour des dispositions sécuritaires particulières sur toute l’étendue du territoire.
Le 15 février 2019, une attaque terroriste survient pour la première fois dans la région Centre-Est : quatre douaniers burkinabés et un prêtre espagnol sont tués au poste de douane de Nohao, près de la frontière avec le Togo.
Le 19 août 2019, au moins 24 soldats sont tués dans une attaque à Koutougou dans le Sahel.
Le 4 janvier 2020, un bus transportant principalement des collégiens saute sur un engin explosif entre Toéni et Tougan dans le nord-ouest du pays tuant quatorze civils.
Trois semaines après, des terroristes attaquent les villages de Nagraogo et Alamou, près de Barsalogho dans la province de Sanmatenga, et tuent 36 civils.
Le lendemain, le parlement burkinabé adopte une loi permettant le recrutement de volontaires pour la défense de la patrie (VDP) pour appuyer la lutte contre le terrorisme.
Le 16 février 2020, une attaque contre l’église protestante de Pansi lors des cérémonies dominicales fait 24 morts (dont le pasteur) et une vingtaine de blessés parmi la population, une semaine après l’enlèvement et la mort de cinq personnes (dont un pasteur) dans la commune voisine de Sebba.
En 2021, malgré les opérations militaires, les attaques se poursuivent. Le 4 août, des attaques dans les environs de Markoye font 30 morts, militaires et civils. Le 8 août, douze militaires sont tués dans une embuscade au village de Dounkoun, dans la commune de Toéni (nord-ouest). Le 18 août, 47 civils et militaires sont tués dans l’attaque d’un convoi à Boukouma, près de Gorgadji dans le Sahel.
Depuis le mois de septembre, l’ouest du pays enregistre des attaques terroristes, notamment dans la province de la Comoé à la frontière avec la Côte d’Ivoire. Début octobre deux militaires y ont été tués dans l’explosion d’un engin explosif improvisé.
— Situation très précaire
Expliquant cette montée de l’insécurité, Paz Hien, juriste et analyste politique a déclaré dans un entretien accordé à l’Agence Anadolu, que la situation sécuritaire est « très précaire et suffisamment alarmante » et commande des « actions urgentes ».
Il a souligné que la situation au Burkina Faso est partie de celle au Mali, qui a connu ses premières attaques en 2012 en faisant face aux séparatistes du « Mouvement national de libération de l’Azawad » et d’autres groupes armés présentant des ambitions expansionnistes.
« Il était depuis cette époque prévisible que les autres pays, notamment le Burkina et le Niger soient contaminés par ce phénomène », a soutenu Hien pour qui, au départ, c’était des personnes étrangères qui entraient dans les territoires des Etats pour perpétrer des attaques, et par la suite elles ont recruté des nationaux sur lesdits territoires pour continuer les attaques.
Pour lutter contre le terrorisme au Burkina Faso, « il y’a nécessité d’avoir une organisation populaire de défense de la patrie », a indiqué l’analyste politique qui préconise d’impliquer les populations dans toutes les formes d’intervention.
« Mais le Burkina ne peut pas mener le combat de façon isolée, d’où la nécessité de mutualiser les efforts avec les autres pays voisins et de la sous-région ouest-africaine », a-t-il soutenu.
— « Désengagement » de l’administration
Contacté par l’Agence Anadolu, Wendpouiré Charles Sawadogo, observateur des mouvements terroristes dans le Sahel, par ailleurs lanceur d’alerte au Burkina Faso, explique que les attaques sont quasi quotidiennes si bien que celles causant moins de 10 cas de décès ne sont pas médiatisées par les autorités.
« En témoigne l’attaque du 02 octobre contre les Personnes déplacées internes originaires de Tin Akoff à Markoye (sahel). L’attaque a fait cinq décès mais jusqu’à ce jour, il n’y a eu aucun communiqué officiel de la part des autorités locales ou nationales », a-t-il affirmé soulignant que ce « désengagement » de l’administration renforce d’avantage la peine dans le Sahel burkinabè.
Analysant les causes des attaques terroristes au Burkina Faso, Sawadogo estime que dès les premières attaques en 2015, le régime précédent, à savoir le Congrès pour la démocratie et le progrès de l’ex-président Blaise Compaoré, était pointé du doigt par les autorités actuelles.
« Mais avec le temps, la certitude a démontré que ceux qui attaquent le pays sont des autochtones. De ce fait, plusieurs volets peuvent expliquer la situation sécuritaire actuelle », a-t-il détaillé.
Il note, entre autres, la pauvreté alimentée par « l’absence de développement » car les régions en proie au terrorisme, aujourd’hui, sont les régions les plus « pauvres en infrastructures (absence d’administration, de routes, etc.) ».
Les conflits communautaires, la stigmatisation et le manque de justice sont également un terreau fertile pour les exactions, a-t-il fait savoir.
« Quand le père du djihadisme armé burkinabè, Malam Dicko, fils de Soboulé dans la province du Soum, a débuté ses actions sur le terrain, le Burkina Faso n’était pas prêt pour une quelconque guerre. S’en est suivie une série d’exactions que les associations de défense des droits de l’homme ont dénoncées. Ces exactions ont contribué à renforcer les rangs des terroristes puisque certaines personnes n’avaient refuge que dans les rangs des terroristes. Ainsi le problème s’est propagé comme de l’huile sur papier », a expliqué l’observateur des mouvements de groupes terroristes.
Alors que le terrorisme gagne du terrain, le Burkina Faso doit également faire face à des conflits communautaires qui engendrent parfois des destructions de biens et des pertes en vies humaines.
Dans la nuit du 1er au 02 janvier 2019, 49 personnes, selon le gouvernement et plus de 200 personnes, selon les associations de défense des droits de l’Homme, ont été tuées dans un conflit intercommunautaire, à la suite d’une attaque terroriste.
— Une justice jusqu’à présent inefficace
« La justice n’a pas pu faire tomber un verdict pour le moment. Le sentiment d’injustice a grossi les rangs des terroristes », a expliqué Sawadogo, qui trouve que la « justice est jusqu’à présent inefficace dans la situation ».
Début octobre, dans un rapport publié, la justice burkinabè annonçait qu’à la date du 31 août 2021, la prison de haute sécurité du pays comptait 978 détenus dont 900 pour faits de terrorisme.
A la même période, on enregistrait 459 dossiers en cours d’instruction avec 893 mis en examen et en détention. La Justice burkinabè a également lancé une vaste opération contre des trafiquants de carburant susceptibles de faciliter les mouvements des groupes terroristes dans le pays.
L’opération a permis d’arrêter plusieurs personnes notamment des Burkinabè.
Selon le rapport, le pouvoir judiciaire est limité dans son action de prévention et de répression du terrorisme notamment au niveau des ressources humaines.
Face à la montée des attaques terroristes et la multiplication des manifestations de la société civile et de l’opposition, le 30 juin, le président Roch Marc Christian Kaboré, a limogé les ministres de la Défense, Chériff Sy, et de la Sécurité, Ousséni Compaoré.
Le ministre de la sécurité sera remplacé par Maxime Koné, alors que le président lui-même assume les fonctions du ministre de la Défense nationale et des anciens combattants.
Le 06 octobre 2021, Kaboré, a également procédé à des changements notables à la tête de l’armée. Le colonel-major Gilbert Ouédraogo a été nommé Chef d’Etat-Major Général des Armées, en remplacement du général Moise Miningou. Des changements ont également été faits aux commandements de la Gendarmerie Nationale et de l’Armée de l’Air.
Une nouvelle stratégie de lutte contre le terrorisme et une politique nationale de sécurité ont été présentées par les autorités burkinabè.
« Nous constatons déjà une restructuration des forces armées nationales, mais il faut aller au-delà du changement des hommes à la tête des institutions, aller au-delà de la création des unités de combat pour miser sur les aspects plus opérationnels en impliquant beaucoup les populations », a affirmé Paz Hien.
L’opposition politique a, pour sa part, déploré dans un communiqué publié trois jours après l’attaque du détachement militaire de Yirgou (Centre-Nord) le 04 octobre 2021, faisant 14 morts dans les rangs de l’armée, que des « zones entières » du territoire national sont de plus en plus sous l’emprise des groupes armés.
« Ils envahissent stratégiquement des pans entiers du pays où les paisibles populations sont livrées à elles-mêmes, à la merci de ces [envahisseurs] barbares sans foi ni loi qui pillent et tuent en toute quiétude », a déclaré le chef de l’opposition, Eddie Komboïgo.
« Face à la situation sécuritaire qui se détériore de plus en plus, et contrairement au pouvoir en place qui crie à tout vent à l’unité nationale face au terrorisme, l’Opposition politique estime qu’il est plus que jamais temps, voire urgent, de situer les responsabilités », a-t-il dit.
Les experts rencontrés par l’Agence Anadolu, estiment que les pays du Sahel doivent compter sur leurs propres forces dans la lutte contre le terrorisme.
Pour Sawadogo, pour la survie de la nation, les autorités maliennes ont le droit d’ajouter d’autres partenaires notamment les russes mais prévient que la conséquence directe est que « si les Russes s’installent au Mali, les combattants migreront au Burkina Faso. Il y aura plus d’attaques et des hostilités ».
« Il est préférable qu’aucune armée étrangère ne se substitue aux forces africaines dans ce combat. Pour ce faire, une mutualisation des forces armées africaines s’imposent. Certes, il y’a le G5 Sahel, mais tel qu’il se présente, il ressemble beaucoup plus à un relais de puissance européenne plutôt qu’à une initiative africaine », a dit Paz Hien à propos d’un éventuel contrat avec la Russie.
Par Dramane Traoré, AA.

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