Pour exemple, le cas de Maggie, cette adolescente vivant à Nord Foire, un quartier pourtant favorisé de Dakar, âgée de 16 ans aujourd’hui, est emblématique des affaires d’exploitation de mineures. Un passé traumatisant des suites d’une séparation des parents qui a engendré une rupture des liens familiaux, victime de ses cousins vivant dans la maison paternelle obligée de fuguer à répétition pour éviter les viols. Sa rencontre avec un homme vivant seul et adepte des restaurants et bars sera le piège dans lequel Maggie se refermera. Comme beaucoup de ces jeunes filles qui tombent amoureuses d’un copain souvent plus âgé et jouissant de moyens financiers ou d’un jeune épicurien , bien souvent ex-délinquant ou trafiquant de stupéfiants, qui, par appât du gain, n’hésite pas à livrer à la prostitution ces jeunes filles en perte de repères. Les passes se font dans des appartements ou des chambres meublés loués à la passe ou à la journée. Par internet, s’agissant de réseaux bien organisés.
Dans certains endroits où évoluent les « Travailleuses du sexe », les professionnels ne cachent plus leur inquiétude face à la montée du phénomène qui prend de court les policiers déjà touchés par le manque de moyens et les restrictions de leur hiérarchie quant à des descentes dans les lieux fréquentés par les enfants des « nantis de la république ». L’essor des réseaux sociaux et leur surutilisation par des adolescentes vulnérables ne font qu’accentuer une dérive menacée de banalisation.
Il m’a fallu plus d’un an pour me rendre compte que ma fille de 17 ans était sous l’emprise de copains. Elle passait ses journées dans des appartements meublés et rentrait le soir comme tout élève
Phénomène qui inquiète tous les policiers de la Brigade Nationale de Protection des Mineurs, la prostitution des mineurs explose. Dans différents témoignages relevés au niveau des commissariats de police et brigades de gendarmerie entre Juin 2020 et mai 2021, il est recensé dix fois plus de victimes mineures se prostituant après une fugue bien planifiée. Celles qui sont les victimes de proxénétisme comme Arame, 16 ans, (prénom d’emprunt), réussissent à témoigner difficilement contre leur bourreau. Mais, avec le soutien de son père, elle nous raconte. « Durant plus d’un an, j’ai suivi par amour un homme de sept ans plus âgé que moi, c’était le grand amour et je me réfugiais dans son studio chaque fois que l’occasion m’était donnée. La réalité est plus crue,, ses amis occidentaux pour la plupart, profitaient de moi quand il s’arrangeât pour me laisser seul ».
« Au début, je ne voulais rien lui dire ne sachant pas la nature des relations avec ses amis, qui en fait étaient des clients, il ne s’est pas offusqué quand je lui en ai parlé et, au contraire, c’était le début des cadeaux de luxe jusqu’au jour où mon père découvrira le pot aux roses ». « Ce garçon est aujourd’hui en prison après une enquête pour incitation à la prostitution, agression sexuelle et violences aggravées, en attendant son procès », explique Cheikh, 47 ans, le père de Arame qui est parvenu au terme d’un véritable parcours du combattant à extraire sa fille « sous emprise » des griffes de son proxénète.
« Ma fille était censée être sous la protection de l’école qui devrait m’informer de toute absence. Elle fuguait pour retrouver cet homme et ses amis qui lui ont imposé des sévices. Elle n’avait que 15 ans. Moi, j’étais incarcéré dans le cadre d’une affaire de trafic de visas ».
« Des adolescentes embrigadées sans le savoir. Leur nombre est estimé entre 10 et 20 000 qui sont victimes d’exploitation sexuelles entre Dakar, Mbour, Saint-Louis ou Cap Skirring sans compter les mille et un cas qui se déroulent dans les familles et les quartiers populaires »
« Les réseaux sociaux sont un véritable danger pour toutes ces jeunes filles victimes des prédateurs sexuels et dont la parole a peu de poids, prévient Ismaïla Diakhaté. Elles n’ont pas de lieu pour les aider à se reconstruire car les quelques centres existants ont un manque criard de personnels spécialisés ».
Pour M. Diakhaté, « Assez de travaux pour mieux lutter contre la prostitution des mineurs ont été fait avec tous les intervenants, associations, hauts fonctionnaires, enquêteurs, psychologues et médecins, des pistes concrètes sont données pour permettre de mieux cerner et d’empêcher ce fléau qui concernerait 10 000 à 20 000 adolescentes au Sénégal. Lanceur d’alerte, Ndeye Fatou Cissé présidente de l’association Parents contre la prostitution des enfants (PCPE) mène un travail d’accompagnement auprès des victimes.Elle décrypte les contours de ce phénomène inquiétant, qui est en nette augmentation au Sénégal.
Selon Mme Cissé se prononçant sur le profil des victimes , « On a affaire à des victimes qui présentent les mêmes caractéristiques. Il s’agit d’adolescents ou préados, en rupture de lien familial, en vulnérabilité affective. Ils sont en général issus de familles extrêmement défavorisées même si quelques 25% de ces victimes vivent dans des familles moyenne. Lorsqu’il s’agit de jeunes filles, souvent en fugue, ce sont leur petit copain qui profite de l’emprise affective qu’ils peuvent avoir sur elles. Ils ne parlent jamais de proxénétisme mais de plans, ou de travail comme un autre. Ils adoucissent le terme et promettent une prétendue ascension sociale par les revenus que cela entraîne ».
Sur les solutions pour s’en sortir, le Spécialiste Ismaïla Diakhaté déclare, « La prostitution des mineurs est interdite. Les actions de prévention dans les familles ou les écoles devraient permettre de prévenir les risques. Mais toutes les victimes gardent forcément un traumatisme important avec un risque de retourner à la prostitution. D’où la nécessité d’être suivi par un psychologue ou des professionnels des addictions. Malheureusement au Sénégal, tous ces services sont dénudés et il y a un manque de moyens financiers et humains conjugué à un déficit de structures d’accueil pour encadrer ces adolescents qui requièrent des soins et des mesures d’urgence ».
« Pour les auteurs, c’est un peu le même schéma. Les tribunaux regorgent de dossiers de mineurs de ce type d’affaires, notamment à Dakar. Les procès n’arrivent que 2 à 3 ans après les faits, et les réponses pénales sont trop tardives.
Dossier réalisé par
Pape SANÉ et Charlotte DIOP