vendredi, 22 novembre 2024 11:22

Opinion : Guinée Bissau : Un an de magistère de Umaru Embalo entre recul démocratique et violations des droits

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« EMBALÓ: UN AN APRÈS, LA DEBÂCLE » 

Un an après sa montée au pouvoir en Guinée-Bissau, Umaro Embaló est en train de naviguer dans des eaux tumultueuses. Grogne populaire, méfiance au sein de sa coalition, cacophonie au sommet de l’État, tous les ingrédients d’une descente aux enfers pour celui qu’on appelle ‘Le Général’ sont là. L’homme ne rassure plus ses concitoyens. Certains observateurs politiques croient même qu’au rythme des événements rien n’empêchera le pays de s’écrouler dans la division profonde et l’incertitude. Que s’est-t-il passé avec un Président qui a du mal à se faire accepter par son peuple ?

« Son style va-t’en guerre est alarmant ! » 

Le 6 Février 2020, un petit avion atterrit dans le tarmac de l’aéroport international Osvaldo Vieira à Bissau. Vêtu d’un costume sobre, le candidat présidentiel Umaro Embaló descend de l’appareil et, faisant face aux journalistes qui l’attendaient au salon VIP, ne mâche pas ses mots :
« Je serai investi le 27 Février, coûte que coûte – lance-t-il dans son style sulfureux. Je m’en fous ce qui dira la Cour Suprême. Mon investiture aura lieu. S’il le faut on fera la guerre. Parfois il faut faire la guerre pour pouvoir vivre en paix ».

À ce jour, le contentieux électoral était toujours en cours à la Cour Suprême du pays, à la suite d’un recours déposé par le candidat Domingos Simões Pereira, qui contestait les résultats provisoires du second tour des élections présidentielles du 29 Novembre 2019 annoncés par la Commission Nationale des Élections (CNE), donnant Embaló comme vainqueur. La Cour Suprême avait demandé à la CNE de procéder au recomptage des voies au niveau national, ce qui celle-ci refusait de faire.
Le 27 Février 2020, le candidat Embaló passe aux actes. Il organise dans un hotêl de Bissau une cérémonie d’investiture que lui-même appelle de ‘symbolique’, avec le soutien du corps de l’armée de la Présidence de la République. Pourtant, la cérémonie a été boycottée par le Président du Parlement, la majorité des députés, les diplomates et les représentants des organisations internationales accréditées à Bissau, qui à ce jour ne lui reconnaissaient pas le statut de Président de la République élu.

Mais Embaló persévère. Le même jour, il occupe le palais présidentiel, signe un décret limogeant le gouvernement de coalition du PAIGC issue des élections législatives de Mars 2019, dirigé par Aristides, et nomme un nouveau Premier-ministre, Nuno Gomes Nabiam. Fin d’après-midi, des éléments de l’armée envahissent le palais du gouvernement et les installations des différents ministères et les membres du gouvernement sont poursuivis. Le Premier-Ministre Aristides Gomes est attaqué à sa maison par des forces de sécurité et a été forcé à chercher refuge dans les installations des Nations unies.

« En quête de légitimité » 

La stratégie d’Embaló était claire: d’abord prendre le pouvoir et ensuite rechercher la légitimité interne et internationale. Pour ce faire, il s’appuie sur une partie de l’armée qui le soutien, et compte sur le soutien d’un trio d’amis puissants: Macky Sall, qu’il considère son frère, Mahamadou Issoufou et Muhammadu Buhari. Son amitié de longue date avec Macky Sall y jouera un rôle important. Certains pensent que c’est grâce aux manœuvres politiques et diplomatiques de ce trio que la CEDEAO a pris la décision de le reconnaître sans attendre le dénouement du contentieux électoral.

Quand la Commission de la CEDEAO a issu le 23 Avril 2020 un Communiqué le reconnaissant comme Président de la République, Umaro Embaló siégeait déjà au Palais Présidentiel depuis deux mois. Contournées les hésitations de la communauté internationale vis-à-vis sa légitimité, il faillait ensuite asseoir son pouvoir à l’intérieur du pays. Très vite il établit sa stratégie:

« Je suis le seul Chef. Je donne des ordres et tout le monde obéit » – dit-il à plusieurs reprises à ceux qui veulent l’entendre.
Des menaces publiques et des actes de répression contre toute voix discordante s’enchaînent. Les anciens membres du gouvernement du PAIGC sont traqués et certains arrêtés. Le 22 mai 2020, Marciano Indi, député de l’opposition au nouveau régime, a été kidnappé par des hommes de tenue et agressé physiquement. C’est Embaló lui-même qui l’appelle quelques heures plus tard pour lui signaler que ceci sera la norme contre tous ceux qui l’insultent. Indi était l’une des voix les plus critiques contre l’autoritarisme du nouveau Président. Dans les mois suivants, plusieurs autres opposants et critiques du régime ont eu le même sort.

Le règne de terreur n’épargne pas les média. Le 26 Juillet 2020, les installations de la Radio Capital FM à Bissau, très critique du régime, ont été vandalisées et détruites par un groupe d’hommes armés dirigés par Tcherno Bari, responsable de la garde rapprochée d’Umaru Embaló. Depuis lors, aucune enquête sérieuse n’a été conduite. Des journalistes des chaînes publiques sont limogés lorsque leurs propos ne plaisent pas au Président. Souvent les journalistes sont victimes d’insultes d’Embaló lors de leurs échanges.

La violation systématique de la Constitution, des droits de l’homme et de la liberté de presse a été érigée en règle. Le 14 Mai 2020 Umaru Embaló investit une Commission ad hoc pour la révision de la Constitution. Son objectif: transformer l’actuel système de gouvernement semi-présidentiel en système présidentiel. Or, d’après la Constitution de la République, l’initiative de révision constitutionnelle ressort de la compétence exclusive du Parlement.

Les menaces et la répression contre les opposants ont été utilisées pour forger une nouvelle majorité de son camp au Parlement. Afin de prouver l’existence de cette nouvelle majorité lors de la présentation du Programme de son gouvernement au Parlement, en Juin 2020, Embaló a dû limoger cinq ministres afin de prendre leurs places de députés pour ensuite les reconduire à leurs postes trois jours après.

« Chasse à l’opposant sous fond de menaces et de répression » 

Le 7 Septembre 2020, la Cour Suprême statue finalement sur le contentieux électoral, ouvrant la voie à la reconnaissance d’Umaro Embaló par son adversaire Domingos Simões Pereira, qui lui demande de respecter la Constitution et de se soumettre à un processus d’investiture selon la loi. Embaló a refusé de s’y soumettre. Trois mois plus tard, le Procureur Général de la République, nommé par Embaló, demande à l’Interpol l’émission d’un mandat d’arrêt international contre Domingos Simões Pereira, après que celui-ci ait manifesté son intention de retourner en Guinée-Bissau pour poursuivre le combat politique et reprendre son poste de député au parlement. La requête a été rejetée par l’Interpol car sans aucun fondement. Beaucoup voient les mains d’Umaro Embaló derrière cette manœuvre.

Mais les menaces et aggréssions ne se limitent pas aux opposants en Guinée-Bissau. Alpha Condé, Président de la Guinée voisine, en connait quelque chose. Lors des dernières élections présidentielles en Guinée, Umaru Embaló a affiché publiquement son soutien au candidat Cellou Diallo (peul comme lui) et refusé de reconnaître la victoire de Condé. Pendant la campagne électorale, les autorités de Guinée ont décidé de fermer ses frontières avec la Guinée-Bissau. Un ministre du gouvernement Condé a même accusé le pouvoir de Bissau d’ingérence dans leur processus électoral. Sans surprise, lors de l’investiture d’Alpha Condé à Conakry, Embaló a été écarté. Ce malaise entre les deux pays voisins et frères, crée par Embaló, n’est pas du goût de beaucoup à Bissau. Les Bissau Guinéens gardent dans leur mémoire le rôle joué par Conakry pendant la lutte de libération nationale menée par le PAIGC contre le colonialisme Portugais. Sekou Touré avait ouvert son pays au mouvement indépendantiste et c’était à partir d’un bureau à Conakry qu’Amilcar Cabral dirigeait la lutte anticoloniale.

« Une gouvernance entachée par la corruption et le manque de transparence » 

Les problèmes d’Umaru Embaló ne sont pas seulement politiques. La gouvernance économique aussi pose problème. Il y a de plus en plus des signes de corruption dans la gestion des affaires publiques. Si Embaló avait promis de combattre la petite et la grande corruption, aujourd’hui beaucoup s’interrogent si la corruption n’a pas été érigée en règle. Des paiements fictifs à des alliés politiques, des adjudications de contrats publics violant les règles de passation de marchés, des exonérations fiscales à des hommes d’affaire qui lui sont proches, c’est juste une petite liste des multiples cas connus de corruption et de détournement de fonds publics. L’engagement de la Guinée-Bissau au cours des dernières années dans la lutte contre le trafic de drogue, tant loué par la communauté internationale, a disparu.

Une affaire qui a défraie la chronique à Bissau et qui fait encore couler beaucoup d’encre c’est le paiement par le trésor publique au mois de Janvier dernier d’un montant de 6 milliard CFA à Braima Camara, leader du MADEM, le parti du Président. La justification donnée pour ce paiement est la récompense de la confiscation par l’État d’un terrain au centre-ville de Bissau appartenant à Camara, que celui aurait achetée (dans des conditions nébuleuses) il y a quelques années au prix de 150 million CFA. Scandaleux, c’est le minimum qu’on puisse dire de cette affaire de corruption aux allures rocambolesques. D’autres dirigeants politiques du camp d’Embaló, comme le Ministre de l’Économie Victor Mandinga, homme d’affaire, ont aussi reçu des paiements importants du trésor public au titre de règlement de supposées dettes de l’État.

Il y a au sein de la population une perception généralisée que le détournement de deniers publics pour s’enrichir est le principal but des hommes politiques au pouvoir, lesquels ne se soucient pas de leur souffrance. À titre d’exemple, le budget de l’État pour l’année 2021, approuvé par le Parlement et promulgué par le Président de la République, consacre des augmentations substantielles d’impôts dans un contexte de pandémie du COVID 19. Les fourchettes de certains impôts ont été élargies et de nouveaux impôts ont été créés. Irresponsable ! Immoral ! ont décrié les syndicats et les organisations de la société civile. Quelqu’un a voulu ironiser au sujet du nouvel impôt de la démocratie:

« Un impôt de la démocratie crée par un gouvernement putschiste pour remplir leur poches!»

La méthode Embaló est tout sauf transparente. Le 22 Octobre 2020, lors d’une visite de travail à Bissau, Amadou Hott, Ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération du Sénégal, a fait une grosse révélation. Les Président Macky Sall et Umaro Embalo avaient signé un accord sur l’exploitation du pétrole dans la zone commune des deux États. Sauf qu’à Bissau, personne n’était au courant de l’acte. Interrogé par les journalistes quelques jours plus tard, Embalo nie avoir signé cet accord, mais tire:

« Je peux quand même le signer quand je veux. Je ne rends compte à personne, ni au gouvernement, ni au parlement ».
Pourtant, l’accord existe bel et bien. Par ailleurs, selon un officier de l’armée Sénégalaise, la traque au cours de ces dernières semaines par l’armée du Sénégal des bases du mouvement indépendantiste de la Casamance a été facilitée par la partie Bissau Guinéenne à l’abri d’un accord entre les deux États. Personne ne connaît l’existence de cet accord.

« Un front social en ébullition » 

La Guinée-Bissau a été frappé de plein fouet par la pandémie du COVID 19. Avant la pandémie, le pouvoir d’achat des populations était déjà bas à cause de la pauvreté mais aussi des faibles prix de commercialisation de la noix de cajou, la principale source de subsistance des populations rurales, pendant la campagne 2020.
Alors que les impôts sont augmentés, les dirigeants politiques ont un train de vie très élevé aux yeux de tout le monde. Des indemnités millionnaires ont été fixées pour le Président de la République, le Président du Parlement et le Premier Ministre, contrastant avec les bas salaires des fonctionnaires de l’État.

L’UNTG, la principale centrale syndicale du pays, vient de remettre au gouvernement un nouveau préavis de grève pour la période du 1er au 31 Mars 2021. Cela fait plus de deux mois que les fonctionnaires publiques sont en grève, revendiquant surtout le paiement des salaires et des arrières de salaires, mais aussi le respect des engagements pris par le gouvernement. Dans les secteurs sociaux, santé et éducation, la situation est très alarmante. Les écoles sont fermées depuis deux mois à cause des grèves des enseignants, même si le gouvernement décrète systématiquement l’état de calamité à cause du COVID et ordonne la fermeture des écoles, pour créer une autre narrative. Toujours est-il que les enfants restent à la maison et cette année scolaire risque d’être une année blanche.

Dans le secteur de la santé la situation n’est pas moins critique. Les conditions des unités de soins sont de plus en plus précaires. Dans le principal hôpital du pays, des patients meurent par manque d’oxygène. La méfiance par rapport aux services de santé publique et telle qu’il y a des patients qui refusent de se diriger à ses services, préférant se soigner à la maison. Les agents de santé qui sont dans la première ligne du combat au COVID réclament le paiement d’indemnités qui leur sont dues. Le mécontentement général est peut-être le sentiment qui prévaut aujourd’hui chez les citoyens Bissau Guinéens. Frustrés et impuissants face à cette sombre réalité, ils se demandent de quoi demain sera fait.

*Une coalition politique qui s’effondre*
Umaru Embaló a été porté au pouvoir par une coalition formé par le MADEM, son parti politique, deuxième plus voté au législatives de Mars 2019; le PRS, troisième parti le plus voté; Nuno Nabiam, le leader de l’APU; et l’armée. Aujourd’hui, sa relation avec ses alliés laisse beaucoup à désirer. Avec Nuno Nabiam les choses ne sont plus les mêmes. Si jadis ils formaient un tandem politique apparemment solide, aujourd’hui cela n’est plus le cas. Le malaise entre les deux hommes et plus que notoire. Ils ne se parlent presque pas. Embaló ne cache pas son intention de limoger Nabiam, mais des incertitudes par rapport à une possible réaction adverse de l’armée semblent être la cause de ses hésitations.

À son tour, Nabiam ne cache pas son mépris pour Embaló. Il ne supporte surtout pas son manque de respect. Constitutionnellement, c’est Nabiam le chef du gouvernement, mais c’est Embaló qui dirige toutes les réunions du Conseil des Ministres. C’est une première dans l’histoire politique de la Guinée-Bissau dès l’instauration de la démocratie dans les années 1990. Plus encore, le 3 Novembre dernier, Embaló nomme Soares Sambú, son ancien directeur de campagne, Vice-Premier Ministre et coordinateur du portfolio économique du gouvernement. Cet acte aurait été interprété par Nabiam comme une tentative de vider davantage ses pouvoirs.

Avec l’armée, le noyau dur de sa coalition, la lune de miel est finit depuis. Embaló avait séduit les militaires par des promesses de l’argent et de levée de sanctions imposées par les Nations Unies à plusieurs hauts officiers de l’armée après le coup d’État de 2012. Le malaise avec l’armée, confient certains observateurs, serait dû aux promesses non tenues, aux mensonges, aux voyages fréquents à l’extérieur et aux liaisons obscures du Chef de l’État, provoquant la méfiance de beaucoup dans les casernes. Certains dans l’armée se sentent manipulés et n’apprécient pas la façon dont Embaló dirige le pays.

Il y a quelques semaines c’est Embaló lui-même qui a parlé publiquement de rumeurs de coup d’État qui serait en préparation contre lui. Dans une réunion tenue avec les officiers de l’armée la semaine dernière, il aurait même manifesté son intention de faire appel à des éléments de l’armée Sénégalaise pour garantir sa sécurité. Du coup, il a limogé certains officiers et les a remplacés par d’autres officiers de sa confiance.

« Un an après, quel avenir pour la Guinée Bissau » 
Fin Janvier 2020. Umaru Embaló sort d’une audience avec le Président Sassou Nguesso à Brazaville. Il dit aux journalistes qu’il serait un Président rassembleur et qu’il formerait un gouvernement d’union national. La CEDEAO et la communauté internationale ne l’avaient pas encore reconnu, mais il se voyait déjà dans le fauteuil présidentiel. Quelques mois après, c’est tout le contraire qui se passe. Ses discours sont incendiaires et divisent. Il a misé sur l’armée et les forces de sécurité pour chasser du pouvoir le PAIGC, parti vainqueur des dernières élections législatives de Mars 2019. Il s’est lancé dans la chasse aux sorcières contre ses opposants politiques, s’est systématiquement violé la Constitution et les libertés fondamentales des citoyens, provoquant la colère de ces concitoyens et la méfiance d’une partie de la communauté internationale.

Pendant ses premiers douze mois au pouvoir Umaru Embaló a pu compter avec le soutien indéfectible de ses amis Macky Sall, Mahamadou Issoufou et Muhammadu Buhari. Eux tous lui ont rendu visite. Cependant, avec l’effondrement imminent de sa coalition et un contexte politique de plus en plus délétère, il reste à savoir si ce trio réussira à envoler à son secours pour le sauver.

Alain Danube
Email : alain.danube@protonmail.ch

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